Événement : Premier Festival d’histoire populaire. Le grand ensemble du Mont-Mesly

Premier Festival d’histoire populaire :

« Paroles populaires » et une enquête d’histoire urbaine publique : le grand ensemble du Mont-Mesly

Les 7 et 8 juin 2024, à Créteil

 

Entretien conduit par Laurent Coudroy de Lille et Virginie Mathé

 

Entretien le 10 juin 2024 avec Clément Fabre, ATER à l’Université Paris-Est Créteil (CRHEC / SIRICE), docteur en histoire, et Iris Pupella-Noguès, co-fondatrice de La Boîte à Histoire, docteure en histoire et ancienne étudiante du Master Histoire publique de l’UPEC, membres du comité de pilotage du Festival, Michel Kouklia, muséographe-scénographe (société Ubiscene), enseignant du Master Histoire publique de l’UPEC, Danaé Roques, étudiante 2023/24 du Master 1 Histoire publique (UPEC).

 

Virginie Mathé : La première édition du Festival d’histoire populaire s’est tenue les 7 et 8 juin derniers à Créteil. Pouvez-vous revenir sur la genèse de cet événement ? En quoi a-t-il consisté ?

Iris Pupella-Noguès : L’idée vient de deux historiens modernistes, Sébastien Malaprade et Marie-Karine Schaub, responsables du master Histoire publique créé à l’UPEC (Université Paris-Est Créteil) en 2015 à l’initiative de l’historienne Catherine Brice1. Le format du festival se prête bien à une diffusion « horizontale » de l’histoire. Il s’agit de prendre le contre-pied de manifestations qui proposent de manière assez systématique des tables rondes et des conférences où le savoir est transmis de manière descendante. Le Festival d’histoire populaire, qui veut explorer d’autres formats de diffusion de l’histoire, a pour maître-mot la co-construction avec les habitantes et les habitants. Il est très important pour l’équipe du festival de l’ancrer dans le territoire de la ville et du département.

L’exposition Les horizons du Mont-Mesly. Histoire mondiale d’un immeuble entrait totalement dans cette vision du festival, mais c’était aussi le cas des balades-spectacles dans la ville, comme celle du quartier des Choux, près de l’Université, que l’architecte-urbaniste et artiste Mathilde Malan a préparée avec des habitants et Makane Philippe, adjoint à la jeunesse de Créteil, ou encore celle dans le Vieux Créteil conçue par Lucile Juteau, étudiante du M2 Histoire publique, avec la Société d’histoire et d’archéologie Les amis de Créteil.

Clément Fabre : Ce projet né dans le cadre du master Histoire publique a trouvé aussi un relais au niveau de l’Université Paris-Est Créteil qui met actuellement en avant l’articulation entre la recherche académique et la société. Le festival a ainsi été lauréat de l’appel à projets Erasme (Enseignement et Recherche pour faire avancer les missions sociétales par l’engagement), qui soutient des « projets transformants » visant à mettre l’enseignement et la recherche à l’UPEC au service d’objectifs de transformation sociale et environnementale ainsi qu’à renforcer les liens entre l’université et son territoire.

 

fig. 1 : Affiche du premier Festival d’histoire populaire de Créteil (création graphique : Nathalie Charrier)

 

Virginie Mathé : Que signifie pour l’équipe du festival l’adjectif « populaire » ?

Clément Fabre : C’est un mot dont l’usage en histoire n’a rien d’évident, et l’édition de cette année s’est attachée à montrer la variété de ses définitions et des débats théoriques qu’il soulève. Le festival est populaire d’abord par son implantation dans une banlieue parisienne : il ne se déroule pas à l’ombre d’un château, mais dans un environnement dont on met moins en avant spontanément la valeur patrimoniale. Le festival est populaire aussi par les thématiques qu’il aborde : cette première édition était consacrée aux « paroles populaires » et portait en grande partie sur l’histoire de celles et ceux que l’on appelle parfois les « sans-voix », ces hommes et ces femmes qui, parce qu’éloignés des positions de pouvoir, ont laissé dans les archives des traces plus discrètes que les élites, et dont l’histoire reste largement méconnue du grand public. Ce thème nous intéressait d’autant plus qu’il invite à poser la question des méthodes des historiennes et des historiens, qui doivent redoubler d’inventivité pour exhumer ces paroles marginalisées. Or l’un des enjeux du festival est justement de raconter, de mettre en scène avec et pour le public les formes diverses que revêt l’enquête historienne. En cela, le festival est populaire parce qu’il ambitionne de populariser l’histoire, ce qui est la définition même de l’histoire publique : il n’a pas seulement pour but de vulgariser des savoirs déjà constitués, mais aussi de transmettre les clés de la réflexion historienne et d’être ouvert à des savoirs sur le passé qui ne relèvent pas de la discipline académique.

Laurent Coudroy de Lille : Le public s’est-il reconnu dans cet adjectif ?

Clément Fabre : Je tiens à préciser que le festival s’adresse à différents publics et n’a pas vocation à être simplement un festival sur l’histoire des banlieues à destination des habitants « populaires » de ces quartiers. Cela dit, c’est effectivement l’une des ambitions du festival que d’impliquer autant que possible les habitants de Créteil et du Val-de-Marne, non seulement comme public mais aussi comme co-producteurs du festival. Et il y a eu dans cette première édition des moments passionnants d’interaction, autour de l’histoire des paroles populaires, entre les chercheurs, les étudiants, la population de Créteil, les groupes scolaires, les artistes et les associations mobilisées. Mais c’est surtout une dynamique de long cours qui s’est enclenchée : il faudra aller plus loin dans cette co-construction, intégrer encore davantage les habitants pour concevoir ensemble les dispositifs de médiation et les contenus, et nous éloigner toujours plus de la facilité de formats comme les tables rondes, où l’on attend simplement du public qu’il « consomme » le savoir historique des intervenants.

Iris Pupella-Noguès : Plusieurs participants ont dit leur enthousiasme de réaliser que l’environnement dans lequel ils vivaient pouvait susciter l’intérêt des chercheurs et d’habitants d’autres villes. On peut s’appuyer sur ce type d’adhésion pour aller plus loin. Par exemple, le vendredi soir 7 juin, nous avons proposé un concert d’un rappeur cristolien, Tizzy Miller ; beaucoup des spectateurs venaient de Créteil. Il faut aussi souligner l’importance des scolaires : des classes de Maisons-Alfort ont chanté vendredi après-midi. Mais pour cette première édition, le public a d’abord été un public universitaire. Si nous sommes satisfaits de la fréquentation, il faut continuer d’œuvrer pour que le public soit plus divers. Un des enjeux est de s’intéresser à l’histoire de la banlieue, mais pas seulement : les horizons doivent être très larges, à la fois géographiquement et dans le temps, du Mont-Mesly des années 1960 à l’Athènes antique par exemple.

Laurent Coudroy de Lille : « Populaire », c’est donc aussi la variété des formats : le festival, entièrement gratuit, a offert des spectacles, des expositions ou des conférences sous différentes formes, dans un certain foisonnement. Par exemple, on a pu voir le film La ferme des Bertrand de Gilles Perret et Marion Richoux. La « parole » d’une famille paysanne était bien l’objet du film, et c’est sur cela que Julia Bellot, de la revue L’Histoire, a insisté avec les historiens Jean-Marc Moriceau et Antony Hamon. On était loin du contexte urbain de la région parisienne. Cela dit, le réseau du festival est tout à fait ancré localement.

Iris Pupella-Noguès : Les partenariats sont en effet multiples et, pour la plupart, situés dans le territoire. Vous avez parlé du Cinéma du Palais pour ce film, mais on peut parler aussi des Archives départementales ou de la Médiathèque intercommunale Nelson Mandela. Ont aussi participé la Société d’histoire et d’archéologie Les amis de Créteil, membre du réseau Clio 94 qui réunit les sociétés savantes du Val-de-Marne, et l’AMuLoP (Association pour un musée du logement populaire du Grand Paris). La Société astronomique de France ou encore l’association Planète Science ont aussi permis d’aborder la question des savoirs populaires de l’astronomie. Sans oublier la librairie Folies d’encre de Montreuil qui a proposé un salon du livre, et la revue L’Histoire. Quant au spectacle Les voix de l’histoire, il a été mis en scène au Pavillon des Archives départementales par Vanessa Rousselot et François Musseau, avec une dizaine d’amateurs.

Laurent Coudroy de Lille : La Boîte à Histoire est co-organisatrice du festival. Quel est le rôle de cette entité, dans le festival comme plus généralement ?

Iris Pupella-Noguès : La Boîte à Histoire a été créée en 2017 par des anciens de la deuxième promotion du Master Histoire Publique, dont je faisais partie. Cette association crée des événements pour parler de l’histoire autrement, plutôt en dehors de l’université. Par exemple, La Boîte à Histoire a organisé deux festivals #Secousse, l’un en 2018 autour de l’année 1848 et l’autre en 2019 autour de 1099. Quand Marie-Karine Schaub et Sébastien Malaprade ont eu l’idée du festival, ils nous ont tout de suite contactés pour que nous en assurions la coordination, et pour que nous réfléchissions ensemble à des types de médiation variés et innovants comme à l’intégration des publics.

Virginie Mathé : Le festival a abordé de plusieurs manières l’histoire urbaine, par les balades, mais aussi par une exposition sur le Mont-Mesly, grand ensemble de Créteil, réalisée par le master 1 Histoire publique de l’UPEC dans le cadre d’un projet pédagogique qui s’est étendu sur toute l’année universitaire. Pourquoi avoir choisi ce quartier ? Comment s’est déroulée l’enquête ?

Clément Fabre : Le service du patrimoine de la Ville de Créteil nous y a engagés : le quartier fait l’objet d’un projet de rénovation, et la Ville se demandait si le master Histoire publique pouvait participer d’une manière ou d’une autre à la valorisation de l’histoire du quartier. Le projet est donc venu d’une commande, ce qui est un point très important pour la formation professionnalisante des étudiantes et étudiants. L’enjeu pédagogique de ce type de projet est de leur apprendre à se saisir d’une commande réelle, à partir de laquelle il leur faut développer une approche historique rigoureuse tout en prenant en compte les souhaits du commanditaire. Se saisir de cette demande présentait par ailleurs deux autres intérêts : renforcer les liens entre l’UPEC et les acteurs institutionnels locaux (une ambition centrale dans notre pratique de l’histoire publique) et permettre aux étudiants, grâce à la proximité des archives (municipales et départementales), du Mont-Mesly et de ses habitants, de pratiquer pour concevoir l’exposition aussi bien un travail de recherche en archives que de collecte d’entretiens.

Travailler sur ce quartier présente enfin un réel intérêt historique : il est emblématique des quartiers de banlieue parisienne, par sa morphologie comme par la chronologie de sa construction, à partir du milieu des années 1950, dans le cadre des premiers projets de grands ensembles portés par la Société centrale immobilière de la Caisse des dépôts, dont son concepteur Charles-Gustave Stoskopf (1907-2004) nest l’un des architectes-phares. Le Mont-Mesly est aussi emblématique de la manière dont ses habitants conçoivent le passé de leur quartier. On y retrouve le leitmotiv d’un âge d’or perdu, mais sans catastrophisme, avec aussi la fierté d’avoir maintenu un art de vivre, une sociabilité singulière.

Le Mont-Mesly est donc loin d’être un quartier sans histoire ; c’est au contraire un quartier dont la mémoire est entretenue localement par plusieurs habitants. L’un des principaux défis de ce projet a été d’apporter quelque chose par rapport à cette mémoire locale du quartier. Notre pas de côté a été d’inscrire cette histoire dans une histoire plus large, nationale et même mondiale. Ces jeux d’échelles nous ont paru déterminants pour montrer que ce quartier était aussi digne que n’importe quel autre de devenir un objet d’histoire, que son histoire permettait d’en saisir une autre plus ample que cette de Créteil, et susceptible d’intéresser un public plus large que ses seuls habitants. D’où le titre de l’exposition : Les horizons du Mont-Mesly. Histoire mondiale d’un immeuble.

fig. 2 : Un panneau de l’exposition Les horizons du Mont-Mesly : « les grands ensembles, une histoire mondiale » (création graphique : Hélène Kouklia)

 

Laurent Coudroy de Lille : Comment s’est passée votre expérience de travail collectif ?

Danaé Roques : La promotion s’est organisée en plusieurs sous-groupes, qui se sont réparti les différentes séquences du projet : travail en archives, entretiens avec les habitants, rédaction des panneaux, conception de la scénographie, de la carte interactive du quartier ou du « MeslyPoly », un jeu de plateau intégrant des éléments de l’histoire du Mont-Mesly. Plusieurs séances de travail ont été organisées aux Archives municipales, aux Archives départementales, à l’Institut français d’architecture, à la Caisse des dépôts et des consignations. Le but était de trouver des documents intéressants pour écrire l’histoire du quartier, mais aussi des documents intéressants à exposer, pour donner une représentation plus visuelle, plus concrète du quartier.

Virginie Mathé : La promotion a-t-elle découvert le quartier et Créteil avec ce projet, ou étiez-vous déjà familiers de cet environnement urbain ?

Danaé Roques : Pour la majorité de notre promotion – nous sommes douze –, ce quartier a été une découverte complète. Même les étudiants qui avaient fait leur licence à l’UPEC n’y étaient pas allés avant la préparation de l’exposition. Pour beaucoup de visiteurs aussi, l’exposition a été l’occasion de découvrir ce quartier un peu enclavé, de démonter des clichés.

Virginie Mathé : Comment avez-vous pensé le propos de l’exposition et des dispositifs qui l’accompagnent ?

Clément Fabre : Il faut noter que cette exposition a été intégrée au Festival d’histoire populaire après avoir été conçue d’abord pour les Nocturnes de l’histoire en mars 2024. L’objectif d’un tel projet est que l’initiative vienne autant que possible des étudiants. Mon rôle d’enseignant a été d’aiguiller ce travail collectif en en présentant les principaux enjeux, en leur faisant découvrir la richesse de l’histoire qu’il s’agissait de raconter, et la diversité des formes de médiation qu’ils pouvaient mobiliser, sans décider à leur place ni le contenu, ni la forme que prendrait au bout du compte le projet. Je leur ai présenté un certain nombre de travaux historiques et de projets d’histoire publique sur l’histoire urbaine (notamment les projets de l’AMuLoP à Aubervilliers et le Tenement Museum de New York) pour qu’ils puissent s’en inspirer, je les ai initiés aux méthodes de l’histoire orale, j’ai invité un certain nombre d’intervenants à venir leur parler d’histoire urbaine, d’histoire orale et d’histoire publique, et les ai accompagnés en archives et dans leurs demandes de financements. J’ai aussi coordonné leur travail d’écriture des panneaux et nous avons longuement discuté ensemble des objectifs qui sous-tendaient cette exposition, des raisons pour lesquelles il nous paraissait intéressant et important de raconter cette histoire. J’ai également assuré la liaison avec la mairie et le conseil de quartier du Mont-Mesly, indispensable notamment pour nouer le contact avec les habitants du quartier. Mais ce sont bel et bien les étudiants du Master qui ont conçu et réalisé l’exposition : ils ont pensé la scénographie et le budget avec le muséographe-scénographe Michel Kouklia, choisi le contenu historique et les documents exposés, réalisé les entretiens, rédigé les panneaux, et les formats les plus audacieux qui accompagnaient l’exposition, comme le jeu de plateau « MeslyPoly », sont entièrement le résultat de leur initiative.

Danaé Roques : L’inspiration est venue des jeux de construction et de stratégie. Nous avons adapté ce type de jeu à l’histoire du Mont-Mesly en la reliant à des événements d’ampleur plus large, mais auxquels les habitants se réfèrent aussi, des années 1960 aux années 2010. La conception du jeu a été faite par les étudiants, puis avec un graphiste, pour figurer les bâtiments du quartier, et donner une identité visuelle.

 

fig. 3 : Salle à manger évoquant l’histoire intime du Mont-Mesly. Présentation de l’exposition Pavillon des Archives départementales, Créteil, mars-avril 2024 (cliché Mathis Chocat)

 

Laurent Coudroy de Lille : Comment se positionner en tant que professionnel de la muséographie dans un tel projet ?

Michel Kouklia : Ce type de projet vise à alimenter une partie des compétences professionnelles des étudiants : il vise à impliquer les étudiants de manière concrète dans les enjeux de médiation de l’histoire. Cela fait plusieurs années que l’équipe pédagogique du Master histoire publique s’est saisie de la possibilité de proposer des projets pour les Nocturnes de l’histoire et les précédentes éditions ont ainsi été consacrées aux objets de la démocratie, puis aux industries cinématographiques dans l’Est parisien, avec des expositions et des ateliers à la médiathèque de l’Abbaye – Nelson Mandela.

Mon rôle est celui de l’encadrement, de l’accompagnement en muséographie. J’insiste sur l’analyse de la commande et des publics cibles, sur l’adéquation des projets de médiation et des enjeux, sur la diversité des formes (l’exposition reste l’objectif principal, mais autour se greffent d’autres formes plus interactives, complémentaires, ouvertes), sur la faisabilité notamment pour le suivi des budgets et le planning … Nous travaillons aussi sur l’écriture et le gabarit des textes, sur l’iconographie et la relation texte-image, très différente par exemple de ce qui se fait dans un mémoire universitaire.

Pour les Nocturnes de l’histoire, l’exposition Les horizons du Mont-Mesly s’est tenue dans un lieu très propice à son déploiement, le Pavillon des Archives départementales du Val-de-Marne. Pour rendre compte de l’aspect multiscalaire du projet, les étudiants ont décidé de concevoir une exposition en deux parties, où l’on passe de l’extérieur, avec une présentation de l’histoire des grands ensembles à l’échelle mondiale et nationale et un point sur l’urbanisme, à l’intérieur avec une histoire plus intime et familiale, qui s’appuie sur la mémoire des habitants du Mont-Mesly.

Tout l’intérêt d’un projet pédagogique comme celui-ci est de voir se révéler au fur et à mesure les compétences des étudiants. Ils découvrent aussi les contraintes de la commande dans le cadre d’une collectivité territoriale. Par exemple, ils ont pris conscience qu’entre la décision d’interroger les habitants et le fait d’avoir les feux verts politiques pour le faire, il peut s’écouler un certain temps qu’il faut savoir occuper autrement. Ils ont aussi appris à réagir au droit de regard des institutions qui financent.

Le redéploiement de l’exposition à la Médiathèque intercommunale Nelson Mandela, et donc dans le cadre du Festival d’histoire populaire, a amené à la repenser en partie, car l’espace n’était pas le même. Le rapport extérieur / intérieur des logements n’a pas pu s’exprimer de la même manière, mais cette nouvelle version a eu l’avantage que l’exposition était dans le quartier même dont elle parlait, avec un contact visuel très direct. À la demande de la mairie, nous avons ensuite adapté l’exposition en 9 roll-ups, plus facilement mobiles, qui seront exposés au mois d’août sur la « fan zone » des Jeux Olympiques à Créteil. À cette occasion, une étudiante du master première année, Andréa Péchin, assurera les médiations autour du jeu de plateau. L’exposition sera redéployée à nouveau au mois de septembre 2024 lors du forum des associations, et des projets d’implantation pérenne de l’exposition à Créteil sont en cours de discussion avec la mairie.

 

fig. 4 : La médiathèque de l’Abbaye-Nelson Mandela (à droite) sur la Place de l’Abbaye, au centre du quartier du Mont-Mesly (cliché Laurent Coudroy de Lille, juin 2024)

 

Clément Fabre : Insistons sur la dimension méthodologique de la scénographie en deux parties qui avait été adoptée dans la première version de l’exposition. Si la partie extérieure a été construite à partir d’archives et la partie intérieure à partir d’entretiens d’histoire orale réalisés par les étudiants, il en ressort bien que c’est la même histoire, construite de deux manières différentes. Au moment du vernissage, les habitants du Mont-Mesly présents ont été très émus par les témoignages, mais aussi très intéressés de découvrir qu’à côté des souvenirs, des objets familiaux et personnels, on dispose dans les fonds d’archives d’autres types de documents pour faire l’histoire de leur quartier. L’idée était de montrer la diversité des modes de réflexion des historiens.

Laurent Coudroy de Lille : Pour diverses raisons, le Mont-Mesly est un ensemble peu connu, moins en tous cas que Sarcelles, sa réalisation jumelle, située en Val-d’Oise. Comment, dans la configuration urbanistique, sociale et politique de Créteil, l’intérêt de la population du quartier pour son histoire s’est-il développé ? Et que peuvent y apporter aujourd’hui des universitaires ? Y fait-on de l’histoire publique comme ailleurs ?

Clément Fabre : Nous avons pu constater que plusieurs collectes de la mémoire du quartier avaient déjà eu lieu. L’exposition Mémoires du Mont-Mesly de la metteuse en scène et réalisatrice Ariane Bourrelier à la Maison de la solidarité a précédé de peu notre projet, avec les photographies de Sonia Blin qui rapprochent chaque fois un habitant, son récit de vie et un objet personnel. La population, ou au moins une partie des habitants, a une connaissance assez poussée de l’histoire du quartier et y prête un grand intérêt.

Dans les rencontres, ce qui nous a aussi frappé, c’est que nos interlocuteurs avaient un avis très tranché sur l’histoire du quartier, sur ce qu’il était possible de mettre en avant. Ils nous ont posé très franchement la question : que nous apportez-vous que nous n’aurions pas été capables de faire et que nous n’avons pas déjà fait ? Notre réponse a été de raconter cette histoire différemment en ouvrant cette focale mondiale. L’idée n’est pas de corriger la mémoire des habitants, de mettre le doigt sur des zones d’ombre, mais de travailler avec ces points de vue pour montrer que ce quartier peut être un observatoire d’histoire qui dépasse le cadre local.

Danaé Rocques : C’est aussi pour cette raison que nous avons conçu deux parties dans l’exposition. Plusieurs personnes interviewées y ont grandi et ont très volontiers parlé du quartier d’hier, mais aussi d’aujourd’hui. En recréant un intérieur d’appartement des années 1970, nous avons pu aller dans ce sens du regard vers le passé. Mais avec les entretiens et les panneaux nous avons aussi montré une histoire qui s’est déroulée sur plusieurs générations et qui continue, sans nostalgie ni pessimisme.

Virginie Mathé : Le Festival aura une deuxième édition en 2025 : quel en sera le thème ?

Clément Fabre : Il sera consacré à la fête. Quoi de plus populaire, à tous les sens du terme ?

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