Lecture : Bram Vannieuwenhuyze & Reinout Rutte, The rise of cities revisited (2024)

Bram Vannieuwenhuyze & Reinout Rutte, The rise of cities revisited. Reflections on Adriaan Verhulst’s vision of urban genesis and developments in the medieval Low Countries, Turnhout, Brepols, (Studies in European Urban History (1100-1800), 61), 2024, 275 p.

Compte rendu réalisé par Jelle Haemers

En 1999, l’historien belge Adriaan Verhulst a publié une synthèse marquante sur la genèse des centres urbains dans l’Europe occidentale jusqu’au treizième siècle, The rise of cities in North-West Europe. Un quart de siècle plus tard, les éditeurs de ce volume ont jugé nécessaire de commémorer cette publication. Pourquoi ? Tout d’abord, ils souhaitaient faire comprendre à une nouvelle génération d’historiens l’importance de cette publication et son influence sur l’historiographie contemporaine. Le livre ne réfute pas les recherches de Verhulst, car le travail est toujours d’une grande valeur pour les historiens de nos jours. Mais il est évident que les connaissances scientifiques sur l’origine et la croissance des villes entre 800 et 1200 ont été complétées par de nouvelles recherches.

C’est pourquoi la deuxième raison de cette publication est de partager les résultats de ces nouvelles études avec un public plus large. En effet, les dix chapitres de ce livre traitent principalement de l’histoire des anciens Pays-Bas, la région qui s’étend du nord de la France à la Rhénanie occidentale et à la Frise au nord. La plupart des nouvelles recherches sur ces régions ont été publiées en néerlandais ou en français et, par conséquent, cette publication en langue anglaise permettra au public international de prendre connaissance de nombreuses idées récentes, provenant d’une variété de disciplines.

Car c’est la troisième et principale raison de la publication de ce livre : il est hautement interdisciplinaire. Le livre de Verhulst reposait en effet à parts égales sur des données issues de l’archéologie, de la recherche sur la morphologie du paysage et de la science historique. Mais au cours des vingt-cinq dernières années, des progrès considérables ont été réalisés dans chacun de ces domaines, ainsi que dans nombre d’autres disciplines qui étudient les débuts du développement urbain. Cet ouvrage se concentre en particulier sur le « tournant matériel et spatial » de la recherche sur le développement urbain – les deux éditeurs font autorité dans ce domaine, sans oublier l’étude de la cartographie. Ils ont invité des spécialistes des différentes disciplines à réfléchir sur les recherches menées dans leur discipline au cours des 25 dernières années : les archéologues supervisent les nouvelles découvertes, principalement dans les régions de la Hollande et du Brabant ; un spécialiste de l’histoire de la construction des maisons en pierre apporte des informations intéressantes sur la chronologie de la « pétrification » des villes aux xiii^e et xiv^e siècles ; les historiens mettent en lumière les nouvelles recherches sur les chartes des premières villes, en particulier dans les Pays-Bas méridionaux ; etc. En résumé, ce nouveau livre est un très bon complément à l’ouvrage de Verhulst et constitue donc la seconde partie d’un diptyque que les chercheurs dans ce domaine consulteront souvent.

Une raison supplémentaire de prendre ce livre en main est qu’il contient une bibliographie très complète d’environ 70 pages avec la littérature sur la genèse de chaque ville des anciens Pays-Bas. Enfin, l’ouvrage est plus vaste sur le plan chronologique que celui de Verhulst, puisqu’il couvre également la période du Moyen Âge tardif.

Dans The rise of cities, Adriaan Verhulst a montré que la région de l’Escaut, de la Meuse, du Rhin et de l’Ijsel a connu une urbanisation remarquable après la période romaine, tandis que dans le sud de l’Europe, la continuité après la chute de l’Empire romain d’Occident a été beaucoup plus déterminante. Verhulst s’est opposé à l’opinion d’Henri Pirenne selon laquelle l’urbanisation au nord de la Seine s’est principalement faite en dehors de l’ordre féodal. En effet, la coopération entre les élites locales et régionales est essentielle pour expliquer cette urbanisation, affirme Verhulst à juste titre. Cette thèse est soutenue par plusieurs auteurs dans ce nouveau volume. Par exemple, Bart Lambert et Adam Hall montrent que le comte de Flandre était un partenaire favorable au développement économique de villes telles que Gand et Bruges. Les privilèges économiques obtenus par ces villes ne l’ont pas été aux dépens de ce souverain, mais ont en fait renforcé la capacité de résistance financière du comte lui-même. Une excellente analyse du développement de l’espace économique au sein de la ville, réalisée par Mathijs Speecke et Ward Leloup, montre que même dans les villes, il existait une vaste coopération entre les élites urbaines (les familles des grands propriétaires terriens) et d’autres groupes (principalement les artisans et les travailleurs du textile) pour façonner l’espace économique. La construction de marchés, de canaux et de fortifications profitait à l’ensemble de la ville (élites et classes moyennes). Dans les conclusions de l’ouvrage, Keith Lilley s’interroge sur la portée comparative de ces observations, et d’autres informations sur l’histoire du développement urbain dans les anciens Pays-Bas, pour d’autres pays. Ces conclusions intéresseront certainement les chercheurs travaillant sur d’autres régions que celle-ci.

Bien sûr, il n’était pas possible d’être exhaustif dans ce livre. Comme les éditeurs le soulignent eux-mêmes, il y a des lacunes : l’histoire culturelle et religieuse est presque entièrement absente, ce qui ne permet pas de mettre en évidence l’impulsion donnée par les institutions religieuses dans le développement des paroisses qui se sont ensuite transformées en villes ou villages. Une vue d’ensemble de l’histoire des paysages dans les banlieues des villes fait également défaut – par exemple, la construction de canaux et de routes entre les villes (après tout, également un élément essentiel du développement urbain) est à peine abordée. On remarque également qu’une synthèse sur les nouvelles recherches sur la toponymie est également absente, alors qu’il s’agit d’une science auxiliaire importante sur laquelle Verhulst a fondé bon nombre de ses conclusions. Ce qui, à mon avis, est également une occasion manquée, c’est le caractère géographique limité de certains chapitres. Le livre de Verhulst excellait dans la généralisation et l’approche globale : il transcendait les limites des villes et regardait au-delà des frontières des régions. À l’inverse, dans ce livre, les auteurs des différents chapitres traitent souvent d’une région spécifique, par conséquent certaines régions ne sont pas couvertes du tout. Par exemple, des études récentes sur le développement urbain dans les régions du Hainaut, de Namur, du Luxembourg et de Liège manquent dans de nombreux chapitres. Pour ne citer qu’un exemple, le chapitre de Gabri Van Tussenbroek sur la construction des maisons en pierre manque de références (principalement francophones) sur Liège, la région de la Meuse, etc. L’affirmation selon laquelle les habitants des villes des anciens Pays-Bas ont construit peu de maisons en pierre avant 1200 ne tient compte ni de la réalité historique, ni de l’historiographie récente sur des villes comme Arras, Valenciennes, Dinant, Liège, etc. – même le matériel cartographique (p. 186-187) n’indique pas ces villes, alors qu’un grand nombre de maisons en pierre ont été érigées dans les villes mentionnées avant 1200. Cela montre que ce livre est moins synthétique que The rise of cities de Verhulst pour l’ensemble des Pays-Bas. Cela dit, sa publication est la bienvenue et constituera une base fructueuse pour la poursuite des recherches interdisciplinaires sur de nombreux phénomènes liés aux thèmes évoqués.