Lecture : Adrien Carbonnet, Louis XI et les villes en révolte (1461-1483), 2023

Adrien Carbonnet, Louis XI et les villes en révolte (1461-1483), préface Élisabeth Crouzet-Pavan, Paris, Classiques Garnier (Bibliothèque d’Histoire Médiévale, 33), 2023. 674 pages

Compte rendu réalisé par Lydwine Scordia

Louis XI et les villes en révolte (1461-1483) est la version à peine remaniée, le point est si rare qu’il faut le souligner, de la passionnante thèse qu’Adrien Carbonnet a soutenue en 2020, sous la direction d’Élisabeth Crouzet-Pavan (préface, p. 13-20). Ce livre est très opportunément paru en 2023, 600^e anniversaire de la naissance de ce roi Valois qui continue de susciter de nombreux travaux, tant il est insaisissable et irréductible à la caricature. Concernant les relations de Louis XI avec les villes, les travaux n’ont pas manqué, qualifiant tantôt le fils de Charles VII, d’ami et bienfaiteur des villes, tantôt de tyran appliqué à les réduire en servitude. L’historiographie urbaine du règne (p. 33-37) a balancé entre la tyrannie du roi sur les villes (Henri Sée, 1891) et l’entente du roi avec ses bonnes villes (Bernard Chevalier, 1982).

Adrien Carbonnet dénombre une cinquantaine de révoltes, en distinguant nettement villes du royaume et de villes nouvellement conquises, et en précisant qu’une vingtaine d’entre elles n’ont pas été menées à terme : intentions ou amorces de révoltes, à moins qu’elles ne soient imaginaires et probablement instrumentalisées. La liste (Tableaux, p. 585-587) modifie grandement le chiffre relativement bas habituellement donné pour les années 1461, 1465 et 1477-1482. Adrien Carbonnet remet donc en question la fable historiographique du faible nombre de révoltes urbaines dans le royaume entre 1420 et les guerres de religion, peut-être due à une recherche trop majoritairement fondée sur les chroniques historiques, généralement peu disertes sur le sujet.

L’originalité du sujet repose sur l’étude combinée de la réalité des révoltes et de leur répression, ainsi que de l’analyse des discours les accompagnant. Et l’originalité de l’approche vient de l’accent mis, non seulement sur la source royale, mais sur la documentation venant des révoltés, plus difficile à mettre au jour et à analyser. Pour y parvenir, Adrien Carbonnet a rassemblé un corpus de sources manuscrites (p. 589-602), qui résulte d’un tour de France dans les fonds municipaux et départementaux (32 dépôts d’archives), aux évidentes difficultés paléographiques pour les délibérations municipales et les registres de comptes, sans oublier les fonds des Archives Nationales et de la BnF. Il faut distinguer la fécondité des papiers largement inédits de serviteurs du roi comme Ymbert de Batarnay, et Jean Bourré, dont le fonds est si riche et délicat à exploiter malgré le répertoire de Joseph Vaësen.

La recherche d’Adrien Carbonnet sur l’opposition au pouvoir royal sous le règne de Louis XI allie finesse et maturité d’analyse. C’est une enquête à nouveaux frais de l’histoire urbaine de la fin du Moyen Âge, plus particulièrement orientée sur les procédures judiciaires et la rhétorique de l’art de gouverner. En trois grandes parties et sept chapitres, Adrien Carbonnet met en relief avec clarté et une belle fluidité d’expression, les lignes directrices de sa démonstration sans pour autant gommer la diversité des situations : « I. Des actes au discours. De la révolte à la rébellion – II. Du discours aux actes. De l’enquête au châtiment – III. Quête du pardon et retour à l’ordre. La reconstruction d’un lien d’obéissance ? ».

Chaque thème abordé commence par un bilan historiographique actualisé sur les aspects non encore étudiés et ceux suscitant des débats. La démarche scientifique permet de suivre au plus près l’enquête de l’historien, fondée sur l’étude de cas concrets contextualisés, mis en regard de révoltes urbaines extérieures au royaume. Chaque révolte a suscité des discours de majesté pour le roi et de pardon demandé par les villes repentantes. Au-delà de ces positions attendues, Adrien Carbonnet dévoile la complexité signifiante de l’opposition entre une rhétorique du pouvoir qui n’insiste pas toujours sur l’aspect répressif de la colère royale, et une rhétorique urbaine qui tend à minorer la révolte. L’un des nombreux intérêts de cette recherche porte sur les enquêtes ordonnées par Louis XI dans les villes révoltées pour recueillir des informations permettant d’évaluer les suites à donner à ces oppositions. Adrien Carbonnet met judicieusement l’accent sur le travail des commissaires royaux si important sous ce règne (p. 212-272). Ce qui importe au roi, dont on connaît la méfiance héritée autant que légendaire, c’est d’être informé. L’enquête témoigne de la primauté du réel qui, aux yeux de Louis XI, l’emporte sur toute théorisation. Le roi appréhende les révoltes au cas par cas, et il lui arrive parfois de demander à rencontrer directement les mécontents (cas des Tourangeaux, p. 266-267). Ces enquêtes mettent sur la voie d’une autre préoccupation royale, celle de mesurer le degré de contamination de la communauté urbaine, à comparer avec les interrogatoires du long procès de Jacques d’Armagnac, duc de Nemours, destinés à mettre au jour la diversité et la dissémination des opposants. Le roi s’en inquiète lors des révoltes de Perpignan (1463) et Bourges (1474), quand il ordonne à Imbert de Batarnay d’échelonner les responsabilités entre gros, moyens et menus. Il n’y a pas de sa part « mépris partagé pour les petites gens » (p. 94), mais une appréhension tarifée de la gravité de la faute, beaucoup plus grave et répréhensible pour ceux qui sont placés plus haut. On le voit aussi dans le cas d’Arras, où le roi frappe gros et menus car ces derniers n’auraient pas bougé sans l’incitation des gros (Lettres de Louis XI, 20 avril 1477, t. 6, p. 157-159).

Les contextes spatiaux et politiques pèsent lourdement sur les différents acteurs des révoltes. Le pragmatique Louis XI, et les villes qui le sont tout autant, se gardent bien de se laisser enferrer dans une conceptualisation. Tout peut changer d’une ville à l’autre, comme en témoignent Évreux et Bourges, deux villes du royaume révoltées la même année 1474. Évreux est punie d’une amende, alors que le comte d’Évreux, Louis Harpedanne de Belleville (fils de Marguerite, fille légitimée de Charles VI et Odette de Champdivers) y avait été tué (p. 32, 62). L’année précédente, Louis XI avait obtenu ce qu’il voulait de son demi-oncle, en lui offrant le comté d’Évreux (et les seigneuries de Montmorillon et la Chaize-le-Vicomte et la ville, château et seigneurie de Saintes) moyennant les ville et château de Montaigu, stratégiquement situés en frontière de l’inquiétant duché de Bretagne. La répression des révoltes s’inscrit dans un large échiquier où certains cavaliers ne sont en réalité que des pions, et à l’inverse certains pions s’avèrent plus importants que leur apparent état. On le constate avec la révolte de Bourges (1474), ville natale du roi, qualifiée de lèse-majesté et lourdement punie, alors que seul, si on peut dire, le clerc du substitut de procureur avait perdu la vie lors de cette « detestable commocion » (p. 302). On retiendra parmi les révoltes des villes conquises le traitement exhaustif de Perpignan (dont l’Index locorum donne une idée de l’importance), complexe en raison de ses nombreux acteurs et de l’échelonnement de ses réitérations (1463, 1472, 1473).

Toutes les villes étaient-elles susceptibles de se révolter ? Lyon peut-elle se révolter contre un roi qui a le pouvoir de confirmer, ou pas, ses quatre foires ? Y a-t-il nécessité de se révolter quand la temporisation face aux innovations royales aboutit plus efficacement à s’opposer au pouvoir ? Le pragmatisme de Louis XI et la nécessité pour les villes de normaliser leurs relations avec le roi aboutissent à un modus vivendi teinté de méfiance réciproque. Ce qui n’oblitère pas les idéaux. Il n’y a pas d’opposition entre l’idéal de concorde et les réalités d’une nécessaire entente. Sur ce point, on ne peut que renvoyer au beau Parlementer de Michel Hébert (2014). Et comme tout compte-rendu comprend quelques suggestions ou appels à débat, je pense au thème de l’obéissance, inépuisable malgré la bibliographie. La phrase « l’obéissance induit la soumission » (p. 146), me paraît inappropriée au vu du sens de la « submission », qui sous-entend dans la majeure partie des occurrences la conséquence d’une défaite. Je suis plus convaincue par le couple fondamental timor-amor (p. 147), tout en invitant à supprimer la référence à Machiavel, vraiment peu intéressé par l’amour politique (p. 147).

Les copieuses notes, où je cueille une référence au grand Conan Doyle (note 42, p. 42), laissent espérer d’autres travaux sur les villes, où seront intégrées les cartes et l’iconographie, présentes dans la thèse, mais absentes de ce volume. Adrien Carbonnet nous offre une recherche foisonnante, devenue grâce à sa maîtrise le livre de référence sur les relations de Louis XI avec les villes.