Lecture : Dossier « Une banlieue sportive. Histoires sociales et politiques du sport et de son architecture », Cahier de la Maison de Banlieue et de l’Architecture (2024)

Dossier « Une banlieue sportive. Histoires sociales et politiques du sport et de son architecture », Cahier de la Maison de Banlieue et de l’Architecture, Essonne & Grand Paris, n° 31, Athis-Mons, 2024, 94 p.

Compte rendu rédigé par Olivier Berger.

Le dernier Cahier de l’association Maison de Banlieue explore les rapports de la banlieue avec le sport. D’une pratique élitiste, ce dernier s’est démocratisé autant que massifié à mesure que les territoires de banlieue parisienne s’urbanisaient pour accueillir toujours plus de populations. Si ces dernières travaillent à Paris, elles vivent en banlieue dans des communes qui commencent à prendre en main cette question liée aux loisirs, mais aussi à des enjeux politiques. Le sport en tant que tel peut devenir un vecteur identitaire ou politique, certaines pratiques nouvelles naissent en banlieue, de même, des formes architecturales originales s’y développent pour accueillir des activités sportives.

Comme d’habitude, les contributions sont assez novatrices sur un sujet peu exploré en dehors des études réalisées par Alain Corbin sur la naissance des loisirs dans notre société¹, et particulièrement celles d’Antoine Le Bas et de Nicolas Kssis-Martov. D’emblée, le sport et son architecture en banlieue sont présentés comme un patrimoine vivant.

Né au Royaume-Uni sous sa forme moderne, le sport se diffuse en banlieue fin xix^e s., en rapport avec les lieux de baignade autour de la Seine, accessibles par le chemin de fer. Il se diffuse davantage dans l’Entre-deux-guerres auprès des ouvriers et employés, notamment dans les villes de gauche qui en font un enjeu. Dès lors, les équipements suivent et ne cessent de doter les nouveaux quartiers et cités issus de l’extension des villes de banlieue.

L’ouvrage suit un plan en trois parties, commençant par la thématique « Sport et façonnement du territoire ». C’est d’abord Antoine Le Bas qui montre comment les pratiques sportives de loisirs s’intensifient à mesure que la banlieue sud se peuple dans un intervalle court, de 1890 à 1950 environ, entraînant la création d’équipements. Ce sont d’abord des lieux de baignades ou des sites propices à la randonnée, réservés à une élite. Des pontons flottants forment des piscines, des chalets de villégiature construits par la bourgeoisie sont aménagés en garages à bateaux pour une navigation de plaisance. Des années 1920 à la Libération, de premiers équipements apparaissent tel l’autodrome de Montlhéry, tandis que la natation poursuit sa diffusion grâce à l’abondance de sites de baignade champêtres, en rivière ou dans des mares : Etampes, Dourdan et Palaiseau ont leur premier bassin de natation de plein air dans les années 1930, souvent liés à des clubs de nageurs. D’autres communes innovent comme Villejuif qui se dote d’équipements modernes, avec stade et salles d’activités, dessinés par l’architecte Lurçat, répondant à la volonté de son maire communiste. De la Reconstruction aux années 1980, beaucoup de nouveaux équipements sortent de terre, avec des procédés industriels, dans un contexte d’explosion démographique, lié à la création de villes nouvelles. Gymnases et stades se multiplient, soutenus par l’État dans le cadre d’un grand plan d’équipements. Ces infrastructures innovantes autant que polyvalentes servent à la fois au sport de compétition et au sport ludique.

Ensuite, Francine Noël présente le sport à Massy, qui existe déjà dans l’Entre-deux-guerres mais se développe lorsque la ville s’agrandit du nouveau quartier du grand ensemble, bientôt doublé d’un second ensemble à Villaine (années 1960). Si la première association de gymnastique commence en 1911, elle est surtout destinée à préparer militairement les garçons, tout en étant liée aux patronages. Dans les années 1920, de nouveaux sports sont proposés : cyclisme, basket, course à pied, avec des sections féminines. Les frères Beneytou se font connaître par leurs performances en gym. Le vélo club de Massy remporte un grand succès en compétition et gagne des adhérents. La mairie s’intéresse au sport et commence à encadrer les clubs. Par la création des grands ensembles, les équipements se multiplient entre piscines, gymnases, terrains de foot, et ce jusqu’à nos jours. De nombreux clubs se développent, ce qui fait connaître Massy comme ville sportive. Après le handball, le basket, la randonnée et le golf, ce sont des clubs de skate ou de BMX, d’autres de danse hip-hop ou d’escalade, qui ouvrent. Destinés au plus grand nombre, ils sont soutenus par la mairie, qui dissémine des city stades. Il faudrait néanmoins pousser plus loin l’analyse, en voyant comment, par exemple, le sport devient ou non un enjeu lors des élections municipales, autant qu’il serait un moyen d’assurer la paix sociale en occupant la jeunesse, selon nous.

Cette partie se termine par la présentation, par le maire de Marcoussis, de la transformation de l’ancien domaine du château de Belejamme en un centre national du rugby français destiné à l’entraînement des joueurs, alors que le rugby se professionnalise dans les années 1980.

La deuxième partie du cahier, intitulée « Histoires sociales et politiques du sport », semble la plus intéressante. Elle débute avec la présentation du sport ouvrier en banlieue rouge, par Nicolas Kssis-Martov. Selon l’auteur, le sport ouvrier, promu par des associations ou des municipalités de villes de banlieue socialistes ou communistes, se veut en opposition au sport bourgeois et catholique, autant qu’en réaction au sport patronal. À la suite du congrès de Tours, les organisations ouvrières sportives se divisent entre USSGT socialiste et FST communiste, qui suivent deux orientations : le sport en tant que délassement et pratique moralisante, ou le sport en tant qu’outil de combat politique révolutionnaire. Pour faire du sport, il faut des équipements que vont réaliser les villes de gauche, telle Pantin. Il s’agit d’offrir des terrains dignes des infrastructures du sport bourgeois, comme de donner des gages aux électeurs, point que nous soulignons car non abordé par l’auteur. Les noms de figures marxistes attribués aux stades témoignent de l’identité politique de ces mairies, comme d’une volonté de propagande. Il s’agit d’une contre-culture.

Il s’ensuit un témoignage d’Annie Fortems, footballeuse d’Athis-Mons, amatrice devenue professionnelle au club de Juvisy, qui a vécu le développement du foot féminin tout en y contribuant. Pour clore cette partie, Serge Bianchi évoque les Golden Blocks, des compétitions d’athlétisme ouvertes à tous dans les quartiers populaires de banlieue, destinées à redorer leur image et à faire des activités encadrées par le milieu associatif dans un esprit ludique ;

Dans la dernière partie, « Le sport réinventé », l’accent est mis sur de nouvelles pratiques qui finissent par être reconnues ou intégrées à des pratiques plus conventionnelles. Ainsi, le témoignage de Meech De France, danseur, revient sur le parcours de celui qui est partie des danses hip-hop associées à la culture des ghettos américains, aux influences africaines, qui l’ont conduit jusqu’à l’Opéra de Paris. L’artiste voulait que la danse soit davantage ancrée hors de Paris, en faisant reconnaître ses pratiques en banlieue. Deux autres analyses de phénomènes nés à Evry sont proposées par Franck Senaud : l’une sur le parkour ou art du déplacement, consistant à franchir tous les obstacles en milieu urbain, l’autre sur la Lucarne, cette fenêtre de local poubelle devenue célèbre par les réseaux sociaux, où chacun peut tenter de tirer un ballon de foot pour l’y faire rentrer.

Si le contenu est original, il serait bien de faire une conclusion, pour dégager des éléments de réponse, à savoir que la banlieue sud a connu une diffusion des pratiques sportives du début du xx^e s. aux années 1960, en rapport avec sa population modeste avide de pratiquer des loisirs dans un but récréatif et hygiéniste, avant une massification du sport, allant de pair avec l’urbanisation des villes nouvelles. Lié à des enjeux politiques, le sport a été instrumentalisé pour encadrer une jeunesse « rouge » dans les villes de gauche avant que des clubs ne naissent pour dépolitiser le sport tout en le rendant accessible. Peu à peu, la compétition n’est plus le but du sport, qui se fait pour le plaisir, en s’ouvrant à tous sans distinction de sexe ou de classe. La place disponible en banlieue a permis la création d’équipements modernes par des architectes soucieux d’innovation, parfois soutenus par des villes sinon par l’État. La diffusion de cultures nouvelles issues des populations de travailleurs immigrés, influencées par les États-Unis, la musique et les traditions diverses des pays de départ, se fondant dans une contre-culture hip-hop jalouse de son indépendance, ne pouvait que naître sur ces territoires qui deviennent porteur d’identité. Il apparaît aussi, à la lecture du Cahier, un point de tension au niveau des usages sportifs dans l’espace urbain : le sport se pratique soit dans la rue de manière informelle ou sur des terrains extérieurs aménagés librement accessibles, soit il se fait dans des locaux gérés par un échelon institutionnel. Il existerait une méfiance devant une volonté d’encadrer des pratiques nouvelles.