Ressources numériques en sciences humaines et sociales OpenEdition Nos plateformes OpenEdition Books OpenEdition Journals Hypothèses Calenda Bibliothèques OpenEdition Freemium Suivez-nous

Disparition : Françoise Choay (1925-2025)

 

Françoise Choay

(1925-2025)

philosophe et théoricienne de l’urbanisme et de l’architecture

 

 

Après avoir été critique d’art et d’architecture, Françoise Choay rejoint le nouveau centre universitaire de Vincennes à l’invitation de l’ingénieur et géographe Pierre Merlin avec lequel elle ouvre une longue collaboration à l’Institut français d’urbanisme. Elle y développe la réflexion sur l’urbanisme, ouverte en 1965 par L’urbanisme : utopies et réalités. Une anthologie, puis par Le sens de la ville en collaboration (1969), et l’approfondit puissamment dans La règle et le modèle (1980). Sous-titré Sur la théorie de l’architecture et de l’urbanisme, cet ouvrage propose la notion de « texte instaurateur » pour désigner ceux qui, à la Renaissance, fondent un appareil conceptuel à même de produire de nouveaux types d’espaces architecturaux et urbains. La notion d’« espace modèle » (le dispositif est universalisable dans le cadre du monde occidental) permet analyser le traité d’architecture de Leon Battista Alberti et l’utopie de Thomas More, instaurateurs de deux lignées d’approche de la pensée de la ville. Suivra ensuite L’allégorie du patrimoine (1992), qui bénéficie également d’un important écho international avec plusieurs traductions.

Au fil de sa longue carrière intellectuelle, Françoise Choay met aussi à disposition du public francophone des ouvrages importants de théorie de l’urbanisme et de l’architecture. Ceux-ci sont traduits de la langue anglaise (Edward T. Hall, Melvin Webber, Christopher Alexander), de l’italien (Gustavo Giovannoni, Camillo Boito, Pier Luigi Cervellati, Alberto Magnaghi), de l’allemand (Camillo Sitte), de l’espagnol (Ildefonso Cerdá qu’elle contribue à faire connaître internationalement), ou encore du latin (Leon Battista Alberti), sans doute l’une de ses contributions les plus ambitieuses. Avec Haussmann, Viollet-Le-Duc ou Aloïs Riegl, elle remonte dans un XIXème siècle qu’elle avait trop sommairement traité en 1965. Cette entreprise exigeante, menée avec certains de ses étudiants, permet aujourd’hui l’usage de ces corpus dans l’enseignement de l’histoire urbaine et de l’urbanisme. Ce travail de « passeuse de textes » – préfaces, postfaces, introductions et notes de traduction – prolonge, nuance et contredit parfois les éléments apportés par l’anthologie matricielle de 1965, lue par les étudiants, en France et à l’étranger.

Seule femme parmi 23 auteurs, sa discrète contribution à l’Histoire de la France urbaine des années 1980 mérite d’être signalée ici : « Pensées sur la ville, arts de la ville » (tomes 4, 1983) et « Production de la ville, esthétique urbaine et architecture » (tome 5, 1985). Grâce à elle, l’histoire des théories spatiales, architecturales et urbanistiques prend place dans une somme dominée par l’histoire économique et sociale, spatialisée, certes, mais au sens où l’entend la géographie plus que l’urbanisme. Si Françoise Choay ne fut pas historienne de la ville, sa contribution, alors un peu décalée, a permis d’atténuer le hiatus existant entre sciences humaines et savoirs de l’architecture ou de l’urbanisme.

L’œuvre de Choay, théoricienne des idées formée à la philosophie, se tient en surplomb d’une étude de la ville conçue comme lieu d’un combat intellectuel entre partisans de modèles urbanistiques. Si sa formulation dans le manuel à succès de 1965, réédité sans changement jusqu’à aujourd’hui, était antagonique, elle a enrichi et nuancé sa vision par son opiniâtre et érudite exploration des idées et des corpus. Appuyée sur les « modèles » culturaliste (la cité-jardin par exemple) et progressiste (le fonctionnalisme corbuséen), l’étude empirique doit s’en distancer pour observer des situations qui ne répondent que rarement aux règles énoncées. Choay elle-même relativisera donc leur statut par la suite.

Constante également dans le choix d’une approche par les discours et une analyse des textes empruntant au structuralisme sans s’y fondre, la réflexion sur la durée chez Choay se nourrit d’une utile prudence à l’égard du vocabulaire et à son emploi problématique dans le temps long. Dans le texte écrit en 1994 pour le catalogue de l’exposition La ville au centre Georges Pompidou, intitulé « Le règne de l’urbain et la mort de la ville », elle annonce la disparition de la ville traditionnelle qui ne subsisterait plus que sous forme fragmentée dans l’océan de l’urbain, et interroge l’archaïsme du terme ville qui ne lui semble plus décrire une réalité observable.

C’est ici aussi, et dans une perspective toute différente de celle de Jean-Louis Cohen disparu il y a quelques mois, qui fut son collègue et auquel nous avons rendu hommage, une œuvre habitée par la figure de Le Corbusier. Après l’admiration des débuts, c’est une opposition de plus en plus affirmée qu’elle développe. Sa participation en 1974, avec les architectes Louis Arretche et Bernard Huet et l’historien d’art André Chastel qui dirigera sa thèse d’État, aux commissions ayant accompagné l’opération de la ZAC Basilique à Saint-Denis, montre que sa préoccupation patrimoniale est plus précoce que la publication de la magistrale et très critique Allégorie du patrimoine. Contre la destruction architecturale et urbaine tous azimuts, Choay promeut une défense du cadre bâti comme patrimoine, appuyée sur la ville historique italienne et la préservation engagée à Bologne dans les années 1960 et 1970. Dans Le Patrimoine en question, 2009, sous-titré Anthologie pour un combat, Françoise Choay, ouverte à des politiques patrimoniales vivantes, descend dans l’arène pour soutenir des initiatives ancrées dans la vie locale et le territoire, comme à Saint-Macaire, près de Bordeaux.
En interrogeant ainsi assez largement les apports de l’histoire des idées à l’histoire urbaine, l’œuvre au long cours de Choay explore rien de moins que la pensée occidentale de l’espace. Engagée dans la formation des étudiants en architecture et en urbanisme, elle contribue à diffuser un corpus doctrinal de l’urbanisme dont elle met en critique la prétention scientifique. Ce faisant, elle sensibilise à la profondeur historique des démarches de transformation des villes dans un moment – la fin du XXème siècle – où l’histoire des lieux fait retour dans la pensée urbaine.

 

 

Bibliographie sélective

L’urbanisme : utopies et réalités. Une anthologie, Seuil, 1965
Le sens de la ville, en collaboration, Seuil, 1969
La règle et le modèle. Sur la théorie de l’architecture et de l’urbanisme, Seuil, 1980
Dictionnaire de l’urbanisme et de l’aménagement, en collaboration, PUF, 1988
L’allégorie du patrimoine, Seuil, 1992
Le Patrimoine en question. Anthologie pour un combat, Seuil, 2009

 

 

Olivier Ratouis et Laurent Coudroy de Lille


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Cédric Feriel (3 février 2025). Disparition : Françoise Choay (1925-2025). Histoire Urbaine. Consulté le 6 février 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/138ay


Cédric Feriel

Maître de Conférences en histoire contemporaine Université Rennes 2 / EA 7468 Tempora Groupe de recherche Inventer le Grand Paris

Vous aimerez aussi...

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.