Compte-rendu : Hélène Dessales (dir.), Ricostruire dopo un terremoto. Riparazioni antiche a Pompei (2022)
Hélène Dessales (sous la direction de), Ricostruire dopo un terremoto. Riparazioni antiche a Pompei, Naples, Centre Jean Bérard (Études, no 13), 2022, 332 p
compte-rendu rédigé par Nicolas Monteix.
[Note liminaire : entre la rédaction de cette recension et sa mise en ligne, une version électronique de l’ouvrage a été rendue disponible. Elle corrige une partie des défauts éditoriaux mis en évidence plus bas, notamment en termes de visibilité]
L’image que l’on se fait en général de Pompéi est celle d’une ville figée par l’éruption du Vésuve en 79 de n. è. Il s’agissait pourtant à ce moment-là d’un espace urbain remis ou se remettant des destructions advenues à la suite d’un séisme survenu en 62 ou en 63 de notre ère selon les textes issus de la transmission manuscrite. Les premiers travaux prenant pleinement en considération les dégâts alors occasionnés ont été proposés par Amedeo Maiuri, qui a tenté de répertorier toutes les restaurations effectuées entre les deux catastrophes1. L’appréhension de ces dommages a été considérablement améliorée par l’étude menée par Jean-Pierre Adam, après le séisme de l’Irpinia ayant frappé la Campanie et Pompéi en novembre 19802. Depuis, les interprétations ont gagné en complexité lorsqu’il est apparu qu’une activité sismique continuelle a pu survenir entre le début des années 60 et l’éruption de 793. L’ouvrage dirigé par Hélène Dessales, fruit d’un programme de recherche financé par l’ANR, est une nouvelle étape fondamentale dans la compréhension des réparations faites aux dégâts sismiques observés sur les constructions de la ville antique.
Cet ouvrage, dont tous les textes sont en italien, est de nature essentiellement méthodologique et vise principalement à mettre en évidence une « culture de la réparation face au risque sismique » (p. 23) en établissant une typologie des dégâts et des formes de reconstructions subséquentes. De manière raisonnable, 10 îlots de la Regio VII, compris entre le forum et la via Stabiana, une des artères centrales de la ville, sont utilisés comme corpus d’étude4. Après un bref rappel des méthodes de l’archéologie du bâti qui fondent le recueil des données, le premier chapitre (p. 25-76) décrit les bases du projet, qu’elles soient lexicales ou techniques – avec une présentation des deux bases de données et du SIG mis en œuvre avec des logiciels propriétaires – et donne un intéressant rappel quant au contexte géologique d’installation de Pompéi.
Un second chapitre expose (p. 77-95), sous la forme de fiches synthétiques, les différents types de dégâts qui ont pu être identifiés dans les maçonneries. Les descriptions structurelles de la manière dont se forment ces lésions, de la situation les favorisant et des interventions nécessaires après leur survenue sont d’une remarquable pédagogie. Une vision globale, intégrant le processus de dommages, réinvestit ces éléments plus loin (p. 189-194).
La clé de voûte de l’ouvrage est inscrite dans le troisième chapitre (p. 97-187) : il consiste essentiellement en une analyse exhaustive des techniques de construction utilisées en réparation des dégâts sismiques. Ces dernières étant liées à des portions de murs préexistantes, il s’agit pratiquement d’une reprise a fundamentis des formes de maçonneries pompéiennes (p. 97-117). Les lecteurs rompus aux descriptions traditionnelles des mises en œuvre recourant à des termes latins — opus incertum, reticulatum, etc. —, en usage pendant tout le xxe s., seront dépaysés. Non seulement ont-elles été remplacées par des codes numériques initialement cryptiques, mais, surtout, l’approche habituelle distinguant la paroi des angles et ouvertures est abandonnée au profit de couples récurrents associant un type de parement avec une chaîne angulaire ou terminale. Ces couples sont insérés dans une typochronologie globale, fondée sur des données souvent extérieures aux îlots étudiés. Après un examen statistique des types de techniques endommagés et de celles utilisées en réparation (p. 117-134), les grands types de reconstructions – intégrales ou partielles – réalisées sur les parois maçonnées ou érigées avec des blocs sont décrits et illustrés d’exemples approfondis (p. 134-169). Le chapitre s’achève sur la mise en évidence d’une convergence entre les réparations de certaines parois et l’apposition d’enduits bipartites, rougeâtres – en raison de l’usage de poudre de céramiques – en partie basse et blanchâtres en partie haute, sans véritable finalité de décoration (p. 170-187).
Le quatrième et dernier chapitre marque un changement d’échelle : l’angle d’observation se détourne des maçonneries unitaires démembrées et restaurées pour prendre en considération l’ensemble de l’échantillon (p. 189-242). Après avoir évoqué les méthodes de cartographie déployées – dans le logiciel propriétaire ArcGis –, sont proposés différents essais d’évaluation des dommages subis par les îlots étudiés dans la Regio VII. Les destructions sont envisagées à l’échelle de l’insula – subdivisée en 3 secteurs pour VII 9 –, puis des parcelles, en prenant en considération de manière très générique les fonctions de ces dernières. Les techniques actuelles d’évaluation des dégâts consécutifs à une catastrophe sont également mises en œuvre. Rapportés à la topographie de la ville et à la nature du terrain sur lequel les édifices sont construits, ces résultats laissent comprendre pourquoi certaines zones apparaissent avoir été plus touchées que d’autres. Le chapitre s’achève par un cas d’étude centré sur les thermes de Stabies (p. 221-242). Pour intéressantes que soient les données soumises ici, leur mode d’obtention tranche considérablement avec tout le corps du projet. En effet, seules deux pages (p. 230-231) suivent la stratégie présentée dans l’ouvrage, fondée sur une archéologie du bâti lato sensu, le reste étant lié à des sondages stratigraphiques.
Les conclusions (p. 243-258) reviennent sur certains acquis en les insérant dans l’ensemble de la trame urbaine. En insistant sur l’effet cumulatif des secousses sismiques ayant frappé la ville, selon une chronologie complexe et probablement non uniforme (p. 244-245), H. Dessales oublie de rappeler que la méthode d’étude initiée a permis de mettre en évidence des réparations de réparations (p. 137, p. 149-150). Il s’agit pourtant d’une avancée majeure dans la compréhension de la Pompéi visible — scil. sans fouille. Elle remet ensuite en question l’historiographie traditionnelle héritée du xxe s. quant aux conséquences économiques et sociales des séismes sur la ville (p. 246-248)5 ; on espère qu’une synthèse approfondie sur cette question sera proposée dans le sillage de ce volume. La difficulté tiendra à la possibilité de distinguer le taux de réparation du séisme initial de celui de la ou des réitérations subséquentes, ayant pu laisser des chantiers inachevés en 79 (discutés p. 248-250). En termes d’histoire des techniques de construction, l’ouvrage met en évidence, statistiques à l’appui, une prédominance de l’utilisation des éléments en terre cuite, éventuellement associés à des moellons de pierre dans des constructions mixtes. De même, le recours au ceinturage des édifices et aux enduits bipartites constitue autant de changements techniques dénotant de l’adoption assez rapide d’une culture de la réparation. L’ensemble pourrait également indiquer la mise en place de certains éléments caractérisant une culture sismique.
Dans cet ouvrage méthodologique conçu comme un instrument de travail en devenir, on ne notera qu’un manque, parfois problématique : l’identification et l’interprétation des constructions ex novo postérieures aux séismes et de celles pouvant être considérées comme telles. Pour les édifices véritablement nouveaux datables après les secousses, à l’image du temple dit « des Lares publics » (VII 9, 3), l’étude aurait été au-delà des buts du livre. En revanche, la raison de la non-prise en compte de certaines parois, non retenues comme liées à des réparations sismiques, aurait été nécessaire. À titre d’exemple, le mur méridional de la boulangerie VII 2, 3.6 est intégralement construit en terres cuites architecturales (voir en ligne). Seule sa portion orientale jusqu’à l’angle de l’îlot est indiquée comme étant une réparation consécutive à un séisme (OPUR 240, p. 275 et p. 289). Pourquoi ne pas considérer la portion occidentale comme un renversement de paroi, simple (ML-3) ou composé (ML-1), restauré à deux reprises ?
Les questions éditoriales sont plus problématiques. Le choix d’un format in-8o apparaît particulièrement discutable eu égard à la qualité et à la quantité des illustrations : tous les plans auraient gagné à pouvoir être imprimés sur une surface plus importante, que ce soit pour la compréhension générale des éléments représentés ou pour l’intelligibilité des légendes. De la même manière, dans un volume in-4o, les fiches synthétiques auraient bénéficié d’un corps de police plus lisible.
Une des grandes difficultés d’exploitation du travail considérable qui a été effectué tient à la consultation des données brutes, simplement, a minima, pour suivre les réflexions menées au fil du texte. Il est véritablement regrettable que seule une version vide (sic) de la base utilisée, uniquement exploitable si l’on dispose d’une licence du logiciel propriétaire FileMaker, soit accessible en ligne. Une mise à disposition des données aurait permis de s’y retrouver dans l’impénétrable jungle des sigles – pour les matériaux (p. 98) – et des identifiants alphanumériques – de formes (p. 105-110) ou d’unités (p. 259-285) de réparations –, ce mal nécessaire de l’archéologie de terrain qui appesantit la lecture. Une simple impression électronique des fiches, illustrées, aurait facilité la consultation, plus que le très sommaire catalogue imprimé dans le volume (p. 259-285), assez inutile en l’état.
Pour conclure, il s’agit d’un ouvrage important pour la méthodologie qu’il expose et pour les résultats auxquels il aboutit, en dépit des sérieux problèmes éditoriaux qui grèvent son utilisation. Certaines parties serviront, à n’en pas douter, de références, même en dehors de l’hapax pompéien, pour quiconque devrait affronter la matérialité des conséquences d’un séisme dans l’étude historique d’une ville.
1. Amedeo Maiuri, L’ultima fase edilizia di Pompei, Roma, Istituto di studi romani (Italia romana, no 2), 1942.
2. Jean-Pierre Adam, « Observations techniques sur les suites du séisme de 62 à Pompéi », dans Claude Albore Livadie (sous la direction de), Tremblements de terre, éruptions volcaniques et vie des hommes dans la Campanie antique, Naples, Centre Jean Bérard (Bibliothèque de l’Institut français de Naples, 2e série, no 7), 1986, p. 67‑89 [en ligne].
3. Thomas Fröhlich, Luciana Jacobelli (sous la direction de), Archäologie und Seismologie. La regione vesuviana dal 62 al 79 d.C. Problemi archeologici e sismologici, München, Biering & Brinkmann, 1995.
4. Le parc archéologique propose désormais à la consultation un plan en ligne issu des derniers relevés du site.
5. Ces remarques conclusives permettent fort heureusement de faire oublier celles discutables et assertoriques proposées dans le premier chapitre (p. 60-63), qui copient l’historiographie pompéianiste du milieu du xxe s.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Cédric Feriel (31 mars 2025). Compte-rendu : Hélène Dessales (dir.), Ricostruire dopo un terremoto. Riparazioni antiche a Pompei (2022). Histoire Urbaine. Consulté le 27 avril 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13lp5