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Compte-rendu : Pierre-Benoît Roumagnou, Traquer. La police parisienne et les protestants en 1685 (2024)

Pierre-Benoît Roumagnou, Traquer. La police parisienne et les protestants en 1685, Paris, PUF, 2024, 293 p.

 

Compte-rendu par Nicolas Lyon-Caen

 

Dans un livre plutôt bref et très clairement rédigé et argumenté, Pierre-Benoit Roumagnou entend lier l’histoire de la jeune institution policière parisienne ‒ le lieutenant de police institué en 1667 est devenu lieutenant général en 1674 à la faveur de la réorganisation du Châtelet ‒, et celle de la révocation de l’édit de Nantes dans la capitale. À cet égard, la démarche, qui enrichit vers l’amont l’abondante bibliographie policière consacrée au xviiie siècle, est tout à fait convaincante. L’étude se centre sur les alentours immédiats de 1685, et principalement sur les quelques années en aval, en exploitant de multiples sources (fonds du Châtelet, de la préfecture de police, du secrétariat d’État de la guerre, papiers de Delamare à la BnF, etc.) que l’auteur connait dans les détails. Le livre insiste sur la mobilisation de La Reynie (en charge de 1667 à 1697) et de ses hommes par le pouvoir royal, et inversement, leurs initiatives « spontanées » (et parfois intempestives) dans la traque aux huguenots. C’est que l’épisode constitue selon P.-B. Roumagnou une étape cruciale pour l’affirmation de la place du Lieutenant général au sein de l’équilibre des pouvoirs dans la capitale. Grâce à l’appui du secrétaire d’État de la Maison du roi, mais en comptant également sur un Louvois qui, à la Guerre, ne lui est en rien hostile, et un accès assez aisé aux réseaux d’espionnage et de renseignement, notamment ceux du comte d’Avaux, l’ambassadeur de France à La Haye, le Lieutenant général de police parvient à éclipser dans sa tâche les services du Procureur général du Parlement, l’homme traditionnellement responsable de la police générale, et affirme dès lors fermement sa place au sein du Châtelet.

Le livre montre toutefois que la notion de police recouvre une réalité humaine complexe qui ne se résume pas aux seuls dépendants institutionnels du Lieutenant général. Certes, celui-ci peut compter sur une partie des commissaires au Châtelet, notamment le célèbre Delamare, lesquels ont une vieille habitude en matière des listes et d’enquêtes, voire de traque des protestants pendant les guerres civiles de la seconde moitié du xvie siècle. Tous cependant ne semblent pas s’investir dans ces actions, loin de là. De sorte que le Lieutenant général s’appuie aussi sur des agents aux statuts plus martiaux, des militaires ou d’anciens militaires, comme François Desgrez et Pierre Auzillon, tous deux passés par le corps du guet et devenus des hommes de confiance et de main de La Reynie qui les patronne lui-même ou les partage avec d’autres hommes de pouvoir. Ce recours à des individus « hors organigramme » tient à la fois à la nature des actes qu’on leur demande, fréquemment hors des sentiers juridiques balisés (arrestations, filatures, intimidations) mais également à l’extension géographique de l’aire d’intervention de la police parisienne, en particulier vers la frontière du nord. De fait, les policiers assurent alors une grande diversité de tâches : surveillance des routes de l’exil, gestion des « prisonniers » ou des individus confiés à des maisons religieuses, contrôle des protestants au sein des métiers et contrainte pour y faire tolérer les nouveaux convertis (à travers ce patronage des métiers apparaît du reste une autre explication de la puissance du Lieutenant général dans la capitale), surveillance des flux d’argent et de biens qu’il est néanmoins plus difficile d’arrêter et de saisir. Pierre-Benoit Roumagnou donne donc à voir le Lieutenant général comme l’animateur d’un réseau d’agents qui ne recoupe pas exactement le périmètre attendu, montrant ainsi combien les institutions ne vivent pas toujours selon la lettre des textes qui les régissent.

Au passage, complétant les travaux d’Olivier Douen, de David Garrioch ou de Crystel Bernat, Pierre-Benoît Roumagnou nourrit une histoire des exils, des circulations et des clandestinités. Suivant les pas des policiers, il s’intéresse aux prêcheurs clandestins, ou aux figures des passeurs, ces « facilitateurs » rémunérés par les fuyards pour la plupart. Car les autorités parviennent dans quelques cas à avoir une idée précise des modalités d’organisation des voyages et de l’identité des organisateurs. Ce faisant, le livre souligne intelligemment qu’au-delà de l’argent, évidemment indispensable, ces dispositifs requièrent également des fugitifs des savoir-faire qui ne sont pas socialement équitablement répartis, mais pas toujours au bénéfice des plus aisés. Il faut en effet non seulement disposer de réseaux de connaissances en France et à l’étranger, mais encore faire montre d’aptitudes à la mobilité, d’habileté à apparaître comme un voyageur « légitime », en collant au rôle social que suppose le port de papiers d’identité, vrais ou faux mais qui ne correspondent jamais à l’identité réelle. Le travail de Pierre-Benoit Roumagnou confirme enfin le rôle de Paris comme plaque tournante, point de passage fréquent des candidats à l’exil qui y cherchent un relatif anonymat, mais aussi les contacts des ambassades des pays protestants et des habitués des routes de l’Empire ou des Pays Bas.

Conséquence de cette longue crise de la révocation de l’édit de Nantes, l’institution policière qui a répondu efficacement aux attentes du monarque s’est sans aucun doute taillée une juridiction large et solide dans la capitale. Mais si elle a servi sur le coup les objectifs du pouvoir, elle a aussi provoqué de nombreuses tensions supplémentaires au sein de la société parisienne. Des excès de zèle policier, il s’en produira du reste à nouveau à la fin du règne de Louis XIV, comme le souligne P.-B. Roumagnou lui-même avec le cas des inspecteurs du Lieutenant général d’Argenson, fortement imprégnés de culture militaire. Il n’est donc pas tout à fait certain qu’il s’agisse avec 1685 d’un virage actant le passage définitif à un nouveau style policier plus brutal, marqué par des tendances extrajudiciaires, ou d’une simple (mais régulièrement actualisée) possibilité. Une comparaison avec les procédés du xvie siècle pourrait peut-être permettre de préciser ce qui change véritablement dans les pratiques des commissaires par exemple. D’autres aspects que le simple rapport de force apparaissent toutefois également au fil de l’étude. Ainsi des fugitives laissent-elles des mots pour les commissaires, notamment Delamare qui passe pourtant pour le persécuteur en chef des protestants, afin de s’excuser de lui avoir menti, mais aussi pour s’assurer de ne pas laisser de dettes derrière elles, lui demandant de bien vouloir restituer aux uns et aux autres (voisins, amis, clients) les objets qu’ils pouvaient conserver chez eux. Jusque dans l’épreuve, les commissaires continuent ainsi de servir l’ordre public « traditionnel », en veillant à la juste répartition des choses au sein de la cité, en dépit des attentes de répression extraordinaire.

 


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Cédric Feriel (31 mars 2025). Compte-rendu : Pierre-Benoît Roumagnou, Traquer. La police parisienne et les protestants en 1685 (2024). Histoire Urbaine. Consulté le 27 avril 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13lp7


Cédric Feriel

Maître de Conférences en histoire contemporaine Université Rennes 2 / EA 7468 Tempora Groupe de recherche Inventer le Grand Paris

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