Compte-rendu : Elsa Sagetat-Basseuil, L’architecture pré-augustéenne à Glanum (2024)
Elsa Sagetat-Basseuil, L’architecture pré-augustéenne à Glanum, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise-Pascal (Terra Mater 6), 2024
Compte-rendu rédigé par Gabrièle Larguinat-Turbatte.
Le volume paru dans la jeune collection Terra Mater est issu de la thèse soutenue par Elsa Sagetat-Basseuil en 2011. Elle livre la première étude détaillée du centre monumental du site de Glanum (Saint-Rémy-de-Provence, Bouches-du-Rhône) appuyée sur un vaste corpus de blocs et sur les données issues des fouilles anciennes et de celles menées par l’autrice, principalement dans le cadre des travaux d’aménagement du site dans les années 2000-2010.
L’intérêt de l’ouvrage est réel : cette synthèse attendue des connaissances sur le centre urbain pour les états pré-augustéens (terme préféré par l’autrice à celui de « proto-augustéen » employé par A. Roth-Congès) repose sur une documentation largement inédite et propose de nouvelles analyses.
Elsa Sagetat-Basseuil s’appuie sur les plans, relevés et photographies de ses prédécesseurs conservés dans les archives de l’Institut de recherche sur l’architecture antique, du Centre des Monuments nationaux et du Service régional d’archéologie parfois publiés ici pour la première fois tels quels ou retravaillés par elle. C’est là l’un des grands mérites de l’autrice d’avoir rassemblé ces documents épars parfois difficiles d’accès.
À cette documentation préexistante s’ajoute celle issue des travaux de l’autrice. Les nombreux plans accompagnent les descriptions des édifices dont la compréhension est rendue difficile par l’enchevêtrement des structures. Ceux permettant de localiser les blocs donnent à voir le long travail de repérage et d’identification de vestiges souvent dispersés et préalable aux propositions d’attribution des blocs aux monuments de Glanum et aux essais de restitution.
L’objectif de l’autrice est de comprendre le développement architectural de Glanum dans le contexte du début de l’époque romaine et de mettre en évidence sa « situation culturelle ». Pour y parvenir, elle expose et discute les grandes questions qui animent la recherche sur Glanum (certains débats parfois tranchés depuis longtemps auraient pu être exposés plus brièvement). Elle s’appuie surtout sur plusieurs analyses globales qui faisaient défaut : au premier chef celle du décor architectural mais aussi l’étude complète de tous les fragments de chapiteaux figurés ou celle d’ensembles archéologiques très complexes qu’elle s’efforce de rendre compréhensibles. L’intérêt porté aux installations artisanales (en partie inédites) est notable.
Après la préface de Xavier Lafon, les deux premières parties comprennent une présentation détaillée du site et de son histoire et un exposé des principaux débats historiographiques, notamment concernant la chronologie. Les propositions d’Elsa. Sagetat-Basseuil sur ce point constituent la grande nouveauté de l’ouvrage. À partir de l’analyse céramique et architecturale, elle abaisse d’un siècle les vestiges de la période I couvrant selon elle la 1ère moitié du Ier s. a. C. Elle se démarque de ses prédécesseurs en se détachant notamment de la trame des événements historiques qui constituent un cadre important des datations proposées par H. Rolland (avant c. 100 a. C.) et A. Roth-Congès (avant 200 ?-90 a. C.). Cela a notamment pour conséquence d’abaisser et de réduire la durée de la période II (c. 50 à 30 a. C. selon l’autrice) par rapport aux propositions d’H. Rolland (c. 100-50 a. C.) et d’A. Roth-Congès (c. 90-49 a. C.). Si la chronologie diffère, pour l’essentiel l’attribution des édifices aux périodes I, II ou III, reposant principalement sur la chronologie relative, demeure inchangée. Par ailleurs l’autrice souligne les importants problèmes méthodologiques rencontrés durant les fouilles et l’insuffisance des données disponibles (en particulier concernant la céramique) qui fragilisent les conclusions.
Les parties 3 et 4 constituent le cœur de l’ouvrage. 14 ensembles de constructions y sont regroupés en 2 secteurs : le quartier central (en partie occupé par la basilique et le forum à partir de l’époque augustéenne – non étudiés ici) et les monuments compris entre la place trapézoïdale et le rempart (avec un excursus jusqu’au temple de Valetudo).
L’autrice présente et localise chaque ensemble étudié, relate l’histoire des fouilles, décrit minutieusement les vestiges, présente des hypothèses de restitution en plan (parfois en élévation) et du décor puis fournit des parallèles choisis pour l’essentiel dans un vaste arc méditerranéen occidental allant de l’Espagne à la Grande Grèce.
Seules les plus notables des nouvelles propositions d’ Elsa Sagetat-Basseuil sont exposées ici ; certaines d’entre elles susciteront à n’en pas douter des débats. L’étude du temple toscan est l’une des plus développées du livre. Dans son second état, il présenterait une façade tétrastyle à escalier frontal avant que ses matériaux ne soient remployés dans plusieurs constructions postérieures. Au sud, le puits à dromos, aurait une fonction utilitaire et non cultuelle (comme le nymphée situé au sud du rempart). La place trapézoïdale aux portiques ornés de chapiteaux figurés constitue un espace très complexe. Avec les constructions adjacentes il pourrait constituer un premier forum avec une hypothétique proto-basilique au sud. Le monument à gradins (dit bouleutérion dans certaines études antérieures) pourrait constituer une curie pré-augustéenne, éventuellement un comitium. Il s’inscrirait dans la transition entre les institutions gauloises et les institutions romaines. Enfin, au sud du rempart, le temple de Valetudo mêle des éléments hérités de l’ordre toscan et d’autres d’ordre corinthien, ce qui révèlerait la lenteur de l’assimilation des modèles italiques. L’étude du décor architectural livre une typologie du mobilier architectonique pré-augustéen avec une attention particulière au répertoire ornemental. Cela conduit l’autrice à mettre en évidence le caractère progressif du développement urbain de Glanum et à identifier diverses influences.
Dans les parties 3 et 4, les passages consacrés aux techniques de construction, aux matériaux et à la taille de pierre reprennent pour partie les travaux de J.-Cl. Bessac tout en fournissant de nouvelles études sur le petit appareil et les dallages. L’autrice propose une analyse nuancée (mais certaines interprétations sont faussées par une mauvaise compréhension des croix gravées sur plusieurs monuments qui sont en réalité des points de référence récents utilisés pour le levé topographique). Elle met en avant le souci esthétique des bâtisseurs dont les réalisations témoignent d’influences grecques et romaines.
Les conclusions de l’autrice sont résumées dans la 5e partie où l’évolution des monuments et des espaces est détaillée pour chaque phase. Selon elle, la période I constitue la grande phase d’urbanisme de Glanum. Durant la période II se déroule une nouvelle mise en chantier de l’agglomération avec le démantèlement de monuments, de nouvelles constructions et un changement de destination ponctuelle de certains espaces publics temporairement occupés par des habitats. Les fonctions civiques et cultuelles sont alors déplacées vers le sud tandis que la trame urbaine élaborée durant la période I demeure inchangée.
Au total, l’architecture de Glanum est marquée par des influences multiples (principalement Grande Grèce, Étrurie et Latium) et la grande originalité des créations locales. Pour Elsa Sagetat-Basseuil (qui suit ici certains de ses prédécesseurs), Glanum doit davantage être considérée comme une agglomération civique qu’un sanctuaire. Selon elle, à côté de l’hellénisation culturelle, l’organisation politique s’inscrit dans la sphère italique.
Le volumineux catalogue des blocs architecturaux recense plus de 200 blocs accompagnés d’une description, d’une interprétation et pour certains d’un bref commentaire. Les notices comportent pour la plupart les relevés de l’autrice ou ceux (retravaillés) de ses prédécesseurs, parfois des photographies. Les relevés donnent à voir les principales caractéristiques des blocs mais leur caractère schématique et parfois incomplet ne permet pas une étude fine au lecteur souhaitant faire sa propre analyse.
La bibliographie abondante n’est toutefois pas totalement à jour, tandis qu’un certain nombre de manquements formels témoignent probablement de la hâte du bouclage. L’organisation du livre implique des redondances entre l’étude proprement dite et la synthèse. Une liste des figures et une des indices auraient été utiles.
Finalement cet ouvrage est indispensable pour étudier en détail l’architecture du centre monumental de Glanum avant l’époque augustéenne, mais pour qui voudrait en avoir une connaissance plus approfondie la consultation des archives de fouille demeure nécessaire.
En effet la complexité du site impose de prendre en considération, comme le fait l’autrice, l’ensemble de la documentation disponible. Ici la publication de davantage de documents issus des fouilles d’Elsa Sagetat-Basseuil, probablement difficilement envisageable dans un ouvrage de ce type, aurait permis de mieux étoffer l’argumentation (céramiques, diagrammes stratigraphiques, relevés pierre à pierre, photographies des zones de fouilles).
Le catalogue unique à ce jour constitue un jalon dans la connaissance de l’architecture de Glanum, mais la documentation graphique qui l’accompagne ne donnant pas à voir tous les détails, l’étude directe des vestiges (et des archives lorsqu’elles existent) reste indispensable.
Le nouveau cadre chronologique proposé par l’autrice ne manquera pas d’être questionné dans les recherches à venir comme certaines de ses hypothèses. La publication annoncée de l’étude des blocs d’époque augustéenne prolongera très utilement la réflexion développée dans cet ouvrage. On ne peut que rejoindre Elsa Sagetat-Basseuil lorsqu’elle appelle au développement de nouvelles recherches sur ce site et sur l’architecture de la Gaule méridionale.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Cédric Feriel (31 mars 2025). Compte-rendu : Elsa Sagetat-Basseuil, L’architecture pré-augustéenne à Glanum (2024). Histoire Urbaine. Consulté le 27 avril 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13lp8