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Compte-rendu : Vincent Denis, Policiers de Paris. Les commissaires de police en Révolution (1789-1799) [2022]

Vincent Denis, Policiers de Paris. Les commissaires de police en Révolution (1789-1799), Ceyzérieu, Champ Vallon, 2022

 

Compte-rendu rédigé par Antoine Renglet

 

L’histoire des polices en Europe n’a cessé, au cours des dernières années, de s’affirmer comme un objet scientifique légitime. Elle souffrait, jusqu’à récemment, d’un paradoxe majeur : d’aucun reconnaissait l’importance de l’expérience parisienne révolutionnaire dans le processus de transformation des polices à la fin du dix-huitième siècle sans pour autant que son étude soit prise à bras le corps. L’ouvrage de Vincent Denis, Policiers de Paris…, vient utilement combler cette lacune. En reconstituant minutieusement les trajectoires des commissaires de police parisiens entre 1789 et 1799 et en analysant leurs pratiques au cours de ces années, l’auteur s’interroge sur ce que faire la police d’une capitale en révolution signifie. Pour répondre à cette question et aux nombreuses autres qu’elle soulève, il déploie son propos sur sept chapitres chronologiques.

La séquence s’ouvre avec les événements de l’été 1789 qui décapitent (au sens figuré) la police parisienne d’Ancien Régime : la disparition de la lieutenance générale emporte avec elle les inspecteurs de la sûreté, tandis que les Gardes-Françaises, la Garde des ports et le Guet sont intégrés à la Garde nationale. Seuls les commissaires-enquêteurs-examinateurs au Châtelet se maintiennent et se fondent dans une police parisienne réorganisée autour des soixante districts, circonscriptions initialement électorales, dotés à travers leur comité d’une série de compétences policières.

Dans le cadre de la refonte de l’organisation judiciaire de 1790, les commissaires au Châtelet sont appelés à disparaître. La municipalité de Paris obtient de l’Assemblée nationale la création de 48 commissaires de police – un par section – élus au suffrage censitaire pour des mandats renouvelables de deux ans. Le recrutement par l’élection provoque une ouverture limitée. Les hommes de loi et les hommes de « plume et de papier » dominent le groupe, ce qui conduit à de nombreuses continuités dans la pratique du métier. Les commissaires prennent les plaintes et les dénonciations, interrogent des voleurs arrêtés en flagrants délits, tentent de concilier les protagonistes de violences ou cherchent encore à résoudre des conflits de voisinage. La transition entre la police de l’Ancien Régime et la police régénérée par la Révolution est, comme la caractérise Vincent Denis, douce.

Entre le printemps 1791 et l’été 1792, s’ouvre une séquence de polarisation politique qui mène à la désintégration de l’ordre policier. Les crises successives mettent en effet à l’épreuve l’autorité des commissaires de police. Leur implication dans la vie politique sectionnaire est également la source d’un renouvellement important et d’une instabilité qui caractérise le groupe au fil des élections. Nombre de commissaires démissionnent dans la foulée des crises paroxystiques ou usés par une fonction de plus en plus exigeante et par la multiplication des injonctions contradictoires. Les anciens commissaires au Châtelet s’éclipsent définitivement de la police à ce moment.

La disparition de la monarchie en août 1792 marque un nouveau tournant pour la police parisienne. C’est le temps des « citoyens-commissaires », parmi lesquels on retrouve un noyau de sans-culottes, surtout à partir de mars 1793. La prise des Tuileries entame sérieusement le crédit des commissaires qui soit restent passifs, soit prennent part à l’insurrection. Après plusieurs semaines d’absence de cadres policiers faisant place à des débordements parmi les plus sanglants de la Révolution, une élection installe 48 nouveaux commissaires entre septembre et décembre 1792. Malgré cela, jusqu’à la chute de Robespierre, l’instabilité est grande, les remplacements fréquents. Les commissaires de police doivent aussi, pendant cette période, composer avec des instances révolutionnaires qui se multiplient à tous les échelons du pouvoir, à l’instar des comités de surveillance dans les sections.

La radicalisation politique des années 1793-1794 met à l’épreuve les pratiques policières mais ne les emporte pas totalement. Face aux énergies révolutionnaires, les commissaires de police font preuve de souplesse, pris entre les impératifs de la rue et de la population et les institutions politiques qui entendent les utiliser comme outils de la « régénération ». Leur rôle dans la surveillance politique impulsée par les comités de la Convention, se trouve considérablement accru. Réquisitionnés tantôt par les comités de gouvernement tantôt par les comités révolutionnaires dans les sections, les commissaires de police modifient leur comportement eu égard à certaines infractions, notamment politiques, qu’ils sont contraints de prendre en charge. Ces citoyens-commissaires assurent une présence plus régulière dans la rue que leurs prédécesseurs. Ils patrouillent et font des rondes dans leur section, contrôlent les logeurs et les lieux de prostitution, désamorcent les mouvements collectifs et assurent une police du pain dont la dérégulation fait craindre de potentielles émeutes.

Lors de la journée du 9 Thermidor, les commissaires font majoritairement le choix du ralliement à l’Assemblée nationale plutôt qu’à la Commune insurrectionnelle, signe annonciateur d’une étatisation qui se confirme sous le Directoire. Dès 1795, la nomination et la révocation des commissaires relève d’ailleurs du bureau central du canton de Paris. Le changement de mode de désignation n’améliore pas fondamentalement la stabilité de la fonction. Le Directoire peine à trouver des candidats durables pour remplacer les commissaires écartés après la fin de la Terreur. Le groupe se stabilise seulement vers l’an VI. La présence d’hommes de loi diminue alors fortement au profit des professions « de l’écrit », les juristes privilégiant des carrières dans la magistrature, tandis que la maîtrise de l’écrit favorise l’ancrage d’une culture bureaucratique dans le métier de policier.

Le Directoire est aussi le temps d’une redéfinition des activités de la police autour de la défense de l’ordre urbain et de l’ordre républicain. Le Code des délits et des peines en confiant la prééminence de l’enquête judiciaire aux juges de paix, minimise le rôle des commissaires dans la procédure pénale. Il les cantonne à la saisie en flagrance et à la constatation des infractions, et les oriente dès lors vers des tâches de rue et des missions de police administrative pour le compte d’un état républicain révolutionné en quête de rationalisation.

Ce bref, et nécessairement incomplet, aperçu atteste de la richesse d’un ouvrage appelé à devenir une référence obligée tant pour l’histoire des polices que pour l’histoire de la Révolution. Vincent Denis offre une clé de lecture nouvelle des journées qui ont fait la Révolution à Paris. Les éruptions violentes, les mobilisations collectives et leur temporalité sont confrontées aux dynamiques policières, à la désintégration de l’ordre public et aux efforts consentis pour tenter de le maintenir. Observée sur un temps plus long, l’expérience révolutionnaire est interprétée comme une parenthèse dont « les singularités font figure d’un feu de paille » (p. 338). Malgré cela, les structures policières accentuent certaines tendances à force de résilience face au phénomène révolutionnaire, forgeant petit à petit la figure du commissaire de police du xixe siècle et infléchissant durablement certaines pratiques des polices urbaines.

 

 


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Cédric Feriel (3 avril 2025). Compte-rendu : Vincent Denis, Policiers de Paris. Les commissaires de police en Révolution (1789-1799) [2022]. Histoire Urbaine. Consulté le 27 avril 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13oj7


Cédric Feriel

Maître de Conférences en histoire contemporaine Université Rennes 2 / EA 7468 Tempora Groupe de recherche Inventer le Grand Paris

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