compte-rendu : Jesús A. Solórzano Telechea, Jelle Haemers & Christian Liddy (eds.), La familia urbana: matrimonio (2021)
Jesús A. Solórzano Telechea, Jelle Haemers & Christian Liddy (eds.), La familia urbana: matrimonio, parentesco y linaje en la Edad Media, Logroño, Instituto de Estudios Riojanos, 2021, 525 p., ISBN 978-84-9960-140-3.
Compte-rendu rédigé par Adeline Rucquoi
Fruit des XV Encuentros Internacionales del Medievo en Nájera, le présent ouvrage réunit 21 articles divisés en trois grandes parties: stratégies familiales et réseaux, sociaux, femme et mariage, et famille, cohabitation (convivencia) et mariage. De fait, de nombreux articles couvrent la plupart de ces domaines. Sur les 21 contributions, 15 étudient des villes des royaumes de Castille et d’Aragon – mais aucune sur la Navarre ou le Portugal –, 2 portent sur l’Italie, 1 sur l’Allemagne, 1 sur la Flandre et 1 sur l’Angleterre, la comparaison est donc d’emblée déséquilibrée en faveur de l’espace castillo-aragonais.
Les sept contributions qui constituent la première partie analysent le rôle de la famille au sein de villes diverses et à partir d’une documentation variée. Yolanda Guerrero Navarrete et Alicia Inés Montero Málaga comparent l’ascension sociale de deux familles de Burgos à la fin du Moyen Âge, grâce à leurs politiques matrimoniales respectives: une famille de négociants et une famille de la petite noblesse. María Ángeles Martín Romera montre ensuite l’intérêt de l’analyse des réseaux sociaux pour étudier les stratégies de parenté à Valladolid, analyse qui met en valeur, au-delà des stratégies, la divergence des intérêts des 1 037 acteurs examinés et l’importance des conflits intra-familiaux. Pablo Otero Piñeyro Maseda, grâce à la reconstruction du lignage de la famille Puga en Galice, se penche sur le cas d’une petite noblesse rurale devenue urbaine et dont l’ascension sociale est due à la protection du chapitre cathédral et de la ville d’Orense ainsi que de grandes familles nobiliaires. La documentation notariale de Valence offre à José María Cruselles Gómez la possibilité de faire une étude prosopographique à partir du montant des dots selon les groupes socio-professionnels, mettant en valeur des stratégies d’ascension sociale ou de stabilité entre pères et fils et entre beaux-pères et gendres. Dans le cas de la ville de Manresa, en Catalogne, Jeff Fynn-Paul examine les stratégies matrimoniales, la richesse, les lieux de vie et de travail, les possessions foncières d’une série de familles et fait ressortir le rôle dévolu à un seul des fils, porteur du nom, et à une des filles, dont la dot renforce les liens commerciaux avec d’autres familles.
À partir de l’analyse détaillée du « Livre des dons » tenu entre 1416 et 1433 par Walburg Waldstromer, Gabriela Signori s’attache à l’étude des stratégies familiales des familles Kress et Waldstromer de Nuremberg au cours du xve siècle, et dévoile le réseau en cercles concentriques autour du couple formé en 1407 par Kunz Kress et sa seconde épouse Walburg. Enrico Faini revient pour sa part sur la « société du pactum turris », société de nature politique qui unit une série d’individus, propriétaires de biens immobiliers, en vue de la gestion commune d’une tour de la ville en Italie centrale, et montre que le « pacte » écrit qui constitue cette « compagnie » ne diffère pas fondamentalement des « sociétés populaires » quant à leur composition, leur absence de hiérarchie et leurs buts.
La seconde partie de l’ouvrage est plus spécialement centrée sur les femmes. Cordelia Beattie s’intéresse à la capacité légale en Angleterre des femmes mariées, ou « femmes couvertes », d’acheter, vendre ou faire un testament ; elle souligne que si certaines agissaient comme « femmes seules », les coutumes locales permettaient à beaucoup de vendre, acheter, signer des actes en tant qu’agents de leur époux, qui étaient donc solidaire de leurs dettes le cas échéant, mais ne les autorisaient pas toujours à léguer leurs effets, immeubles ou terrains. La question de la résolution des conflits suscités par les mariages clandestins ou réalisés sans l’accord des familles, parfois à la suite d’un enlèvement de la jeune fille, est abordée par Chanelle Delameillieure qui montre comment, à Gand, ils aboutissaient plus souvent à un accord entre les familles qu’à la privation de l’héritage de la femme à la demande de ses proches parents. À partir des archives familiales des descendants de Paio Fagúndez, qui couvrent la période 1303-1442 à Compostelle, Miguel García-Fernández montre que, si la vie des femmes passe par le mariage ou l’entrée en religion, elles gèrent leurs propriétés, agissent activement aux côtés ou non de leurs époux pour l’accroissement du patrimoine familial, conservent leur dot, héritent de leurs parents et, à l’heure de leur mort, choisissent souvent de reposer auprès de ces derniers.
Ricardo Córdoba de La Llave ouvre la troisième partie de l’ouvrage en explorant les stratégies matrimoniales des groupes urbains populaires des villes du sud de la Péninsule ibérique entre les xiiie et xve siècles, et montre l’importance du voisinage, de la profession exercée et de la religion pratiquée au moment du choix du conjoint. C’est au cadre de la vie quotidienne des familles urbaines du royaume de Castille à la fin du Moyen Âge que s’intéresse Roberto J. González Zalacain qui passe en revue la maison et son mobilier, l’hygiène, l’alimentation, l’habillement, l’âge des membres de la famille et jusqu’aux fêtes familiales. À San Vicente de la Barquera sur la côte Cantabrique, Fernando Martín Pérez se penche sur l’évolution parallèle d’une série de grandes familles, progressivement divisées en factions – les linajes –, qui monopolisent le pouvoir, et une autre série de familles de la ville qui constitue l’élite du « commun » – les hombres buenos – et qui parvient à s’ériger en famille artificielle, la consortería, c’est-à-dire en un linaje non fondé sur des liens de sang, ce qui leur permet d’accéder au pouvoir en 1497. Marta Gravela étudie l’implantation des familles de l’aristocratie locale dans les villes d’Italie du nord et du centre, et met en valeur les similitudes et les différences des regroupements spatiaux des demeures familiales et de celles des serviteurs et vassaux, autour d’une place, d’une église et de tours, au cours des xiie et xiiie siècles ; elle montre ensuite, à partir des cas de Vérone, Turin et Gênes, les profonds changements dus aux nouvelles situations politiques, en particulier l’émergence du Popolo et l’établissement de seigneuries, qui rompt le lien entre les familles aristocratiques de la ville aux xve-xvie siècles.
À León, le rite du mariage dans l’église de San Isidoro, objet de l’analyse de Michael S. Carlin, révèle que, dès le xiie siècle, outre le consentement des fiancés et la remise de la dot par le père de la jeune fille, l’officiant demandait à chacun des futurs époux s’il aimait – diligis – l’autre ; en témoigne l’Ordo de 1187 édité en annexe. Ana E. Ortega Baún détaille ensuite toutes les causes et modalités de la rupture matrimoniale dans la Castille des xiiie-xve siècles, tandis que Carmen Grijuela Gil s’attache à l’évolution des puissantes familles de Castro Urdiales, les linajes, qui rivalisaient à la fin du Moyen Âge pour l’exercice du pouvoir urbain. C’est aux familles de commerçants de Logroño et de Santo Domingo de La Calzada, dans l’actuelle Rioja, que s’intéresse Inazio Conde Mendoza, qui passe en revue leurs activités, les stratégies matrimoniales, la transmission des patrimoines, l’accès au pouvoir et la dimension symbolique des lieux de sépulture. Puis Koldobika Sáenz del Castillo Velasco montre l’importance des rites et festivités du mariage dans les villes basques, à la fois ciment des réseaux familiaux et sociaux et espace de rencontre pour les membres de la famille et les voisins. Trois cas exceptionnels dans la Catalogne du xive siècle ont retenu l’attention d’Eduard Juncosa Bonet : un amour fraternel exacerbé, un cas de bigamie féminine et une séparation due aux infidélités et à la violence d’un mari envers son épouse.
Étant donné le déséquilibre entre les espaces qui font l’objet de cet ouvrage et, comme le souligne la conclusion, la disparité des sources, une « histoire comparée » semble difficile à réaliser sur cette base. La brève conclusion de Jelle Haemers et Christian Liddy souligne néanmoins la différence entre une Europe du nord, où les historiens insistent sur les guildes, corporations et confréries, et une Europe du sud que caractérisent les lignages urbains, leur localisation dans la ville et leurs bâtiments. Car la famille n’est pas seulement un fait biologique, mais « une catégorie d’associations dont la raison d’être, la signification et la longévité ont été culturellement, géographiquement et chronologiquement spécifiques, ainsi qu’historiquement contingentes ».
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Cédric Feriel (6 mai 2025). compte-rendu : Jesús A. Solórzano Telechea, Jelle Haemers & Christian Liddy (eds.), La familia urbana: matrimonio (2021). Histoire Urbaine. Consulté le 21 mai 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13vdf