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Compte-rendu : Clément Weiss, 10 août 1792 : la défaite de la monarchie (2023)

Clément Weiss, 10 août 1792 : la défaite de la monarchie, Paris, Passés composés, 2023, 302 p.

Compte-rendu rédigé par Jean-Numa Ducange

Le 10 août 1792, jour de la prise des Tuileries par les sections parisiennes et de la chute de la monarchie constitutionnelle, est dans l’histoire de France une date importante à la destinée un peu paradoxale. Peu de Français la connaissent véritablement. Comme le 21 septembre 1792 qui marque le début de la Première République – conséquence logique de la chute de la monarchie un mois plus tôt – elle fait presque figure de date oubliée si on la compare au 14 juillet. Et il faut bien dire que les multiples débats autour de la Révolution française n’ont pas peu contribué, paradoxalement là encore, à en minimiser l’importance. En effet la chute du roi Louis XVI, événement majeur, entraîne le pays sur des chemins inconnus. Pour certains, 1792, c’est l’année de la radicalisation, soit la préfiguration à la « Terreur » des deux années suivantes. Le début d’une « dérive » ou d’un « dérapage », selon les mots célèbres de François Furet1 ? Pour d’autres, cela peut – encore – certainement se discuter. Mais il semble difficile d’en faire une date consensuelle tant ses conséquences peuvent prêter au débat.

Il y a dans tous les cas un indice qui ne trompe pas. Cela faisait bien longtemps qu’un ouvrage en langue française n’avait pas été consacré en tant que tel à la journée du 10 août 1792. Longtemps (mais nous parlons des années 1960) La Chute de la Royauté : 10 août 1792 de Marcel Reinhard constitua une référence, dans la fameuse collection des « Trente journée qui ont fait la France » publié par Gallimard. Et si bien des choses ont été travaillées depuis autour de cet événement, aucun ouvrage spécifique n’avait été publié. On s’intéresse généralement bien davantage au procès du roi en 1793 qu’à sa chute quelques mois plus tôt. Saluons donc l’initiative de l’éditeur Passés composés d’avoir confié cette besogne à un jeune historien talentueux, auteur d’une thèse remarquée sur l’histoire de la contre-révolution à Paris. Parmi les grandes qualités du présent livre soulignons d’emblée une chose : une parfaite maîtrise des enjeux politiques de ladite journée, bien sûr, mais aussi une prise en compte des multiples réalités spatiales qui nous permet de revivre cet événement au plus près des acteurs. A ce propos, le livre est très vivant, se fondant ponctuellement sur des représentations picturales ultérieures qui permettent de mesurer les enjeux de positionnements, notamment des gardes suisses, entre plusieurs lieux stratégiques parisien – l’Assemblée nationale et, bien sûr, les Tuileries en tout premier lieu. Les trajectoires des divers bataillons sont scrutées de près, permettant d’ouvrir un nouveau chapitre de l’histoire du Paris révolutionnaire, où la dimension géographique occupe une place décisive. Les exemples sont multiples, mais citons simplement cette mise au point fondée sur une utilisation critique d’un des témoins du 10 août, Paroy : « La charge ‘à la baïonnette’ qu’il situe place de l’Orangerie, vers 11 heures du matin, a pu avoir lieu car il est avéré qu’au cours de la matinée, des groupes de gardes suisses ont tenté des percées, à travers les jardins en direction de l’Orangerie et de la place Louis-XV ». (p. 200).

Ce n’est là qu’exemple. En effet, l’auteur a effectué un long travail de défrichements divers. Grâce à « l’abondance des sources disponibles » il peut nous proposer « le déroulement des événements de la journée (…), heure par heure, scandé par quelques épisodes immanquables » (p. 33). Au cœur de son propos, à rebours de certaines légendes, une conviction : « la royauté est tombée car sont morts au combat – physiquement et symboliquement – des royalistes impuissants à la défendre » (p. 31).

L’auteur est fortement influencé – peut-être trop, estimeront d’aucuns – par l’historiographie récente faisant la part belle à la violence révolutionnaire et tout ce que celle-ci implique. Au-delà l’histoire propre de la Révolution française, l’inspiration des travaux de Stéphane Audoin-Rouzeau, historien de premier plan prônant de longue date une approche anthropologique des violences de guerre, se fait largement sentir. Violente, la chute de la monarchie l’est, assurément. L’historien le dit sans ambages, reprenant certains développements de Jean-Clément Martin. Le 10 août fut des plus meurtriers. Il vaut la peine de citer C. Weiss sur ce point (p. 47) :

« Contrairement aux précédentes invasions du château des Tuileries (…) la confrontation entre défenseurs et assaillants ne se limite pas à une escarmouche et à l’échange de quelques coups et bourrades. Les morts se comptent cette fois par centaines de chaque côté. Unique bataille rangée d’envergure entre ‘royalistes’ et ‘patriotes’ survenue à Paris durant la Révolution française, le 10 août est d’abord une journée de guerre civile, sans doute la plus meurtrière qu’a connu Paris depuis les massacres de Saint-Barthélémy en août 1572. Par rapport au 14 juillet 1789 (…) les pertes humaines seraient environ dix fois supérieures : une centaine de morts le 14 juillet ; ‘au moins 1000 ‘ le 10 août, selon Jean-Clément Martin ».

La chute de la monarchie, un moment de « guerre civile » donc. On l’avait trop peu dit de manière aussi ferme et ramassée jusqu’ici. L’auteur est tout à fait convaincant sur ce point. Il revient d’ailleurs là-dessus dans son chapitre conclusif qualifiant la « journée du 10 août 1792 (…) d’ordalie absurde et sauvage » (p. 221) avant de souligner à juste titre qu’elle s’inscrit dans un temps long : « Le duel à outrance pour le contrôle d’un château vide entre défenseurs et adversaires d’un roi absent a permis de vider pour un temps des haines accumulées depuis des semaines, voire des années »  (ibid.).

Revers la médaille une telle approche implique, disons-le clairement, certes de grands apports mais aussi des limites pour le sujet traité ici. Incontestablement C. Weiss nous sort du récit classique grâce à son attention aux corps, à l’histoire sensible du sort des nombreuses victimes. La geste héroïque qui a marqué longtemps de son empreinte l’écriture du 10 août avait certainement besoin d’être nuancée. Mais à trop vouloir faire ressortir certains aspects, il est vrai longtemps négligés, les causes mêmes de l’événement – c’est-à-dire les multiples contradictions sociales et politiques à l’œuvre – sont ici peu explicitées, au risque de perdre le lecteur. Fort heureusement, ce dernier replonge malgré tout dans le livre car l’auteur, fort d’une exploration minutieuse des archives comme des mémoires (parfois totalement biaisées), sait revenir à l’essentiel. À noter que, loin de se limiter aux révolutionnaires, notre historien propose au contraire un regard détaillé sur ceux qui défendent le roi et entendent lui rester fidèles jusqu’au bout. À ce titre les chapitres consacrés à « l’annuaire des aristocrates assiégés » et à « la cause perdue du roi » nous paraissent particulièrement réussis. C. Weiss examine dans le détail les motivations des perdants de l’heure. Historien de la contre-révolution, il montre bien l’importance d’une certaine éthique chez ces représentants du sang bleu. La dignité chevaleresque passe au-dessus de tout : « Le désir de distinction nobiliaire ne se limite pas au choix des armes, il affecte aussi le choix du combat : pouvoir suivre et protéger le roi sur le chemin qui mène à l’Assemblée semble avoir été un véritable enjeu identitaire pour les nobles, désireux de montrer leur place toujours privilégiée autour de lui » (p. 181). Belle analyse de cet « enjeu identitaire » que l’on avait jusqu’alors tendance, pour sûr, à sous-estimer pour comprendre le 10 août 1792.

En résumé, La défaite de la monarchie mérite assurément de figurer dans toutes les bibliothèques d’amateurs de l’histoire de la Révolution française. Il enrichit nos connaissances tout en proposant des regards sur les monarchistes permettant mieux comprendre les actes, mais aussi les convictions des acteurs.

1 François Furet, Penser la Révolution française, Paris, Gallimard, 1978.


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Cédric Feriel (6 mai 2025). Compte-rendu : Clément Weiss, 10 août 1792 : la défaite de la monarchie (2023). Histoire Urbaine. Consulté le 21 mai 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13vdh


Cédric Feriel

Maître de Conférences en histoire contemporaine Université Rennes 2 / EA 7468 Tempora Groupe de recherche Inventer le Grand Paris

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