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Compte-rendu : Loïc Vadelorge (dir.), (Re)penser les villes (2024)

Loïc Vadelorge (sous la direction de), (Re)penser les villes, Paris, Armand Colin, 2024, 160 p., préface de Patrick Boucheron, illustrations de Djohr.

 

Compte-rendu rédigé par Sylvain Schoonbaert

 

Le présent ouvrage réunit 37 chercheurs du laboratoire d’excellence Futurs Urbains qui regroupe quatorze laboratoires de la communauté d’établissements universitaires de Paris Est. Il rassemble 28 contributions qui invitent à réfléchir au présent pour se projeter dans l’avenir des villes.
Comme le précise Patrick Boucheron dans la préface, cet abécédaire propose une « réjouissante promenade critique dans l’archipel de ces futurs urbains ». Loïc Vadelorge et José-Frédéric Deroubaix s’ingénient, dans l’introduction, à inventer une déambulation dans Futura Urbana, un écoquartier rénové pour la septième fois en 2067, dans lequel on se rend vite compte que nos dystopies urbaines sont déjà devenues des réalités.
Voici donc un univers dans lequel le futurisme n’a plus sa place mais pour lequel les sciences de l’urbain ont encore tout à dire. Le cadavre exquis de l’introduction précise la liberté absolue donnée aux auteurs de choisir les thèmes et les titres de leur contribution : 25 notices de trois pages environ chacune, aux sujets parfois triviaux : bactérie, éboueurs, foire, kilowatt, lubrifiant, urine, W.-C. ; parfois plus classiques : appartement-témoin, garden-city, habitante, jardins, nuit, pavillon, quai, sente, voirie ; ou encore poétiques : île de loisirs, jardins, récit urbain, traces de toi ; ou au contraire inquiétants : caméra, déguerpissement, mégaphone, nuit, online/offline, X, Y, zéro. Ainsi sont abordées les notions centrales qui questionnent la ville d’aujourd’hui et de demain : risques, mobilités, nature, numérique, patrimoine, tourisme, inégalités sociales…
Plus originale encore, le making off de l’ouvrage indique qu’une consigne absolue a été donnée aux auteurs d’abandonner tout jargon scientifique et académique dans leur texte, ainsi que toute note de bas de page – une bibliographie sélective pour chaque notice présentée en fin d’ouvrage ne l’en rend pas moins savant –, ce qui mérite d’être salué car cette démarche d’écriture rend véritablement l’ouvrage accessible à un public non académique, sans pour autant lui faire perdre sa profondeur scientifique et intellectuelle. Voici donc une nouvelle façon de faire de la recherche et de la communiquer.
Le fil rouge qui guide l’ouvrage est sa liberté de ton, qui laisse volontiers de côté les polémiques pour entrer dans la profondeur des objets décrits et analysés. Pour ne pas trop dévoiler les contenus de l’ouvrage et attirer le lecteur, je ne donnerai que quelques exemples des contenus développés.
Ainsi des données géolocalisées de nos smart cities, bien décevantes au bout du compte, et plus problématiques pour l’aménagement et la gestion de l’espace urbain qu’utiles à l’amélioration de notre cadre de vie (article « traces de toi », p. 113-116) ; ainsi des toilettes publiques qui, au-delà d’avoir genré l’espace public persistent, lorsqu’elles sont supprimées, à rendre la ville inhospitalière (article « W.-C. », p. 125-126) ; ainsi de l’habitat pavillonnaire qui, contrairement aux idées reçues, constitue un levier pour la transition écologique, à condition de modifier les politiques d’aménagement dans le périurbain diffus (article « pavillon », p. 95-98)…
On l’aura compris, bon nombre des notices proposées ici remettent en question des leitmotivs bien connus des discours sur la ville et l’urbain – des sujets souvent graves –, d’autres abordent délibérément le leur avec humour – ce qui n’enlève rien à la gravité des sujets traités ainsi –. Humour par l’absurde par exemple, avec l’épisode de la « Cité-jardins » du Plessis-Robinson, qui, hormis la végétalisation et la toponymie, ne présente aucune similitude avec le concept originel des cités-jardins. Pire encore, il est à craindre que des projets de renouvellement urbain de la banlieue parisienne ne visent directement à faire disparaître ce patrimoine de la première moitié du xxe siècle sous prétexte que cette banlieue serait « malade » (article garden-city, p. 53-56).
Autre exemple d’humour, paradoxal cette fois, qui consiste à protéger le vivant non-humain dans un espace réservé à sa survie et à contenir le vivant humain en le divertissant dans cet espace sécurisé. C’est ainsi que les bases de loisirs créées autour de Paris dans les carrières renaturées qui ont servi à édifier les villes nouvelles franciliennes sont devenues de formidables laboratoires d’observation des jeunes qui les pratiquent et de leurs gestionnaires qui composent avec ces paradoxes : des jeunes obligés de fréquenter un espace protégé et par conséquent cloisonné, voilà un paradoxe qui prête à sourire (article « île de loisir, p. 61-66).
Les auteurs nous invitent donc à nous plonger avec gourmandise dans ce « petit » ouvrage, fruit d’un travail collectif d’une quinzaine d’années de recherches. On notera enfin que la lecture, déjà largement facilitée par le ton des auteurs, est encore plus agréable grâce aux illustrations de Djohr, qui font chanter chaque notice ensemble.

 


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Cédric Feriel (6 mai 2025). Compte-rendu : Loïc Vadelorge (dir.), (Re)penser les villes (2024). Histoire Urbaine. Consulté le 21 mai 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13vdi


Cédric Feriel

Maître de Conférences en histoire contemporaine Université Rennes 2 / EA 7468 Tempora Groupe de recherche Inventer le Grand Paris

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