Compte-rendu par Jean-Luc Pinol : R. Rutte, J.E. Abrahamse (dir.), “Atlas of the Dutch Landscape”
Reinout Rutte and Jaap Evert Abrahamse (dir.), Atlas of the Dutch Urban Landscape : A Millennium of Spatial Development, Bussum, Thoth Publishing, 2016. 336 p.
Compte-rendu réalisé par Jean-Luc Pinol
L’ouvrage n’est pas récent mais il est d’importance. Une note critique dans le cadre de ce dossier sur « Ville et numérique » s’impose tant il souligne comment le numérique peut transformer les manières de faire de l’histoire urbaine, pas seulement en ligne mais aussi en format papier. Il s’agit d’un atlas grand format (25 x 35 cm.) avec des cartes et des photos de grandes dimensions. Les ressources des SIG sont mises au service de l’édition papier. Pour mener à bien le projet, dont la faculté d’architecture de l’université technologique de Delft1 et l’agence du patrimoine culturel des Pays-Bas (https://www.cultureelerfgoed.nl/) sont à l’initiative, les éditeurs ont utilisé de nombreuses sources (p. 13) : une série d’Atlas publiés depuis le XVIIe siècle mais principalement au XIXe siècle, à différentes échelles et en plusieurs volumes, tels que l’atlas historique des Pays-Bas au 1/50000e publié, en 4 volumes ou les Atlas topographiques et militaires, les différentes cartes municipales, la couverture cartographique vectorielle au 1/10000e…
Les éditeurs précisent les quatre objectifs du projet (p.8) : se focaliser sur ce qui est effectivement construit plutôt que sur les projets ; produire des séries de cartes cohérentes et homogènes sur l’espace bâti ; prendre en compte l’ensemble du territoire national sans privilégier les grandes villes de l’ouest (« tenir compte aussi bien de Apeldoorn, Hengelo ou Emmen que d’Amsterdam, Rotterdam ou Utrecht ») ; et, enfin, proposer une approche comparative des villes sur la « longue durée ». Et de souligner le postulat de l’ouvrage : « L’image est primordiale, le texte son explication »2 en précisant que les aspects démographiques, économiques, politiques, sociaux et culturels ne sont abordés que dans la mesure où ils se sont avérés cruciaux pour le développement spatial des villes néerlandaises.
L’ouvrage porte sur les 35 municipalités néerlandaises de plus de 80 000 habitants en 2010. Il s’articule en deux grandes parties. La première porte sur l’espace bâti des 35 villes pendant un millénaire et la seconde sur les différentes formes du développement urbain aux Pays-Bas, dans une perspective plus comparative.
Dans la première partie, chaque ville est traitée en quatre pages avec une grande photo issue de Google Earth et une carte à la même échelle, ce qui facilite la lecture comparative des deux documents. Les villes sont classées par ordre alphabétique. L’histoire spatiale de chacune est présentée à la même échelle et la classification en dix périodes (1200, 1350, 1500, 1650, 1750, 1850, 1900, 1950, 1980 et 2010) est commune à toutes les villes. Les auteurs expliquent qu’ils ont opté pour des classes chronologiques qui permettent de rendre compte des étapes de toutes les villes même si toute la palette n’est pas intégralement utilisée : ainsi la première période représentée pour Alkmaar, Breda, Leyde, Maastricht, Nimègue ou Utrecht est bien 1200 mais seulement 1350 pour Amsterdam ou Rotterdam. Pour Haarlemmermeer, commune entre Amsterdam et Haarlem où se trouve l’aéroport d’Amsterdam, la première plage utilisée est 1900 et, pour Zoetermeer, à l’est de La Haye, la première plage utilisée est 1350 et la seconde… 1950. À cette dernière date, Zoetermeer compte 29 hectares bâtis alors qu’elle en compte 1 411 en 2010… (p. 245).
Les deux premières pages de chaque monographie sont complétées par deux cartes cartogrammes, un cartogramme qui permet de localiser la ville dans l’ensemble national et un autre plus grand qui explicite, de manière schématique, les facteurs de la chronologie spatiale de l’expansion urbaine en figurant les éléments pré-urbains, le réseau hydrographique, les voies de communications… Les deux pages suivantes comportent des photos ou des tableaux représentant, de manière très lisible, des vues du paysage urbain à des périodes significatives. Une frise chronologique permet de saisir immédiatement les principales étapes de l’expansion urbaine. Pour Haarlem, par exemple, la première phase de prospérité s’étend jusqu’au XVIIe siècle, l’âge d’or des Pays-Bas, alors que le XVIIIe siècle est marqué par une stagnation, à laquelle succède un nouveau dynamisme dans les premières décennies du XIXe siècle. Pour chacune des 35 villes, une bibliographie vient compléter le texte de présentation.
Consulter cette première partie permet, visuellement, de saisir la grande diversité du phénomène urbain aux Pays-Bas mais aussi de comprendre les spécificités de chacune des villes présentées. Comparer est le maître-mot de la seconde partie où les représentations des villes de la première partie sont mises en série pour que l’œil puisse saisir parallélismes et différences. Ainsi, les frises chronologiques des 35 villes sont présentées ensembles, sur une double-page (p. 162-163), dans un seul grand tableau synoptique, où se distinguent les sept villes les plus anciennes (Maastricht, Utrecht, Groningue, Deventer…), les dix de la seconde génération (Leyde, Haarlem, Breda, Delft…), les trois grandes (Amsterdam, Rotterdam et La Haye), les huit villes industrielles (Zaanstadt, Tilburg, Eindhoven…) et les sept résidentielles dont l’expansion est principalement postérieure au second conflit mondial (Hilversum, Zoetermeer, Haarlemmermeer…). La double-page suivante montre la genèse de l’espace bâti sous forme de cartogrammes3. Ces deux aspects de la comparaison sont ensuite repris par grandes phases : le grand boom urbain (1000-1500) en lien avec les voies d’eau, les mutations de l’urbanisation (1500-1850), le renouveau urbain (1850-1950) et l’impact des chemins de fer, de l’industrialisation et des nouvelles formes morphologiques et, enfin, celle de la croissance explosive (1950-2010), conséquence des autoroutes et de l’expansion rapide de l’espace bâti.
Pour chacune de ces quatre phases, aux ressources cartographiques déjà présentées dans la première partie mais réorganisées de manière comparative, souvent dans le cadre de double-pages, viennent s’ajouter des cartes portant sur l’ensemble du territoire national et montrant la distribution des 35 villes en fonction de différents paramètres : nature du sol (argiles marines ou fluviales, lœss, tourbes, polders…), géographie politique et administrative, importance démographique, croissance de l’espace urbain entre deux périodes…. De brefs tableaux fournissent les données qui sont cartographiées aux différentes périodes étudiées (évolution démographique et croissance des surfaces bâties). De plus, des thématiques spécifiques sont abordées comme le rôle des systèmes de défense et leurs liens avec l’expansion urbaine entre le XIVe et le XVIIe siècles (p. 203) ou l’évolution des constructions le long des voies d’eau qui drainent la région du Zaanstreek entre 1500 et 1750 (p. 208-209). Là, les réglementations sont moins strictes que dans les villes de Hollande et offrent plus d’opportunités à l’installation de moulins industriels. La ville de Zaanstad, à une trentaine de kilomètres au nord-ouest d’Amsterdam, résulte de cette croissance urbaine le long des voies d’eau.
Spectaculaire sont aussi dans cette seconde partie les quatre double-pages (p. 264-271) qui décomposent, pour les 35 villes, les étapes de la croissance de l’espace bâti de 1200 à 2010. Comparons Hilversum, au sud d’Amsterdam, et Sittard-Geleen, au nord de Maastricht, dans le Limbourg. À Hilversum, l’espace bâti passe de 38 hectares en 1850, soit sensiblement la même surface que cinq siècles auparavant, à 201 en 1900 puis 820 en 1950 et 1294 en 2010. À Sittard-Geleen, la superficie bâtie en 1850 est de 120 hectares, répartis sur plus d’une dizaine de noyaux comme cela était déjà à la période médiévale. En 1900, la situation n’a pas encore évolué mais, en 1950, la superficie bâtie s’étend sur 415 hectares et, en 2010, sur 2 825 mais le polycentrisme n’a pas disparu. Les deux villes, classées, aujourd’hui, comme résidentielles, ont pourtant des histoires très différentes dont les documents de la première partie témoignent : alors qu’une carte postale d’Hilversum des années 1930 (p. 103) montre l’émergence d’une ville résidentielle desservie par le train et où se construisent de luxueuses villas dans un paysage arboré, à Sittard-Geleen, une carte postale, de la même période, laisse voir les installations des mines de charbon et des fours à coke au milieu des infrastructures ferroviaires… Les mines ont fermé à la fin des années 1960, de nombreux bâtiments ont disparu suite à une vague de restauration et de « rénovation radicale » mais la croissance spatiale ne s’est pas arrêtée, au contraire, et la population est passée de 38 000 à 95 000 habitants entre 1950 et 2010, enregistrant une des croissances les plus dynamiques des 35 villes étudiées alors que, à Hilversum, la population stagnait voire diminuait très légèrement (p. 244, 249, 252).
L’ouvrage, on l’aura compris – et c’est d’ailleurs explicite dans son titre – se focalise sur l’espace bâti et le paysage urbain. Des femmes et les hommes qui vivent, sur la longue durée, dans ces espaces bâtis, on ne connaît que le nombre. Leurs activités, leurs manières de vivre ne sont pas abordées et encore moins cartographiées, mais une telle approche ne faisait pas partie des objectifs énoncés et l’on ne saurait, donc, en tenir rigueur aux éditeurs et aux auteurs.
Par ses qualités de visualisation, par sa lisibilité et la pertinence de ses approches, l’ouvrage est d’importance et l’on ne peut que le conseiller. La richesse cartographique alimente une véritable base de données visuelles où, même en version papier, il est possible de faire ses propres découvertes en scrutant les cartes. Ajoutons que pour le lectorat français qui ne maîtrise pas le néerlandais, et l’auteur de ces lignes en fait partie, l’atlas permet de pénétrer dans un système et dans des paysages urbains dont la bibliographie lui est pour l’essentiel peu accessible. On se prend même à imaginer ce que pourrait être un ouvrage équivalent pour l’espace français, mais nous en sommes, hélas, encore loin…
1 Carola Hein, directrice de la Faculté d’architecture, qui cosigne l’avant-propos de l’ouvrage, est membre du Conseil Scientifique du Consortium Huma-Num Paris Time Machine qui est à l’origine de ce numéro de la revue Histoire Urbaine.
2 « The image is paramount, the text its explanation ».
3 La ville de Zaanstadt ne figure pas parmi ces cartogrammes alors qu’elle est traitée comme les 34 autres villes dans la première partie de l’ouvrage (p. 144-147)
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Cédric Feriel (25 août 2025). Compte-rendu par Jean-Luc Pinol : R. Rutte, J.E. Abrahamse (dir.), “Atlas of the Dutch Landscape” Histoire Urbaine. Consulté le 14 novembre 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/14hxp


