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Compte-rendu par Clarence Hatton-Proulx : V. Grossman, “A concrete alliance. Communism and Modern Architecture in Postwar France”

Vanessa Grossman, A Concrete Alliance. Communism and Modern Architecture in Postwar France, New Haven, Yale University Press, 2024, 288 p.

compte-rendu réalisé par Clarence Hatton-Proulx

Quels sont les liens entre communisme et architecture dans la France de l’après-guerre ? Cet ouvrage écrit par Vanessa Grossman s’attache à répondre à cette question en étudiant le cas d’un pays dont la trajectoire politique a été profondément façonnée par le communisme au niveau électoral, en comparaison avec bien des pays occidentaux. Il approche cette double relation en sélectionnant une période s’échelonnant de 1958, soit le début de la guerre d’Algérie et de la 5e république, à 1981, date d’élections présidentielles dont le Parti communiste français (PCF) sort meurtri et qui symbolisent son déclin déjà en cours. Durant ces deux décennies, le PCF et un groupe restreint d’architectes modernistes forgent une alliance professionnelle qui les mènent à construire de nombreux bâtiments dans les villes industrielles communistes de France. L’échelle géographique de ce livre, suivant leurs réalisations, s’étend à toute la France, Grenoble faisant par exemple l’objet d’une partie de chapitre, bien que la banlieue rouge parisienne soit son décor principal.

Bien que les thématiques qu’il couvre soient loin d’avoir été ignorées par la recherche historique, ce livre répond à deux lacunes historiographiques au croisement de l’histoire politique et de l’histoire de l’architecture. D’un côté, bien qu’elle intègre inévitablement les grands ensembles et quelques réalisations spectaculaires du communisme municipal, l’histoire politique du communisme français n’a pas analysé en profondeur et de manière holistique le rôle important de l’architecture dans la matérialisation du projet politique communiste. De l’autre, l’histoire du modernisme architectural français de l’après-guerre n’a pas suffisamment pris en compte l’influence profonde du PCF en tant que client institutionnel. Pour pallier ces lacunes relatives, A Concrete Alliance propose une histoire majoritairement intellectuelle de la jonction entre communisme et architecture. Le résultat est un livre richement illustré et magnifiquement présenté, expliquant son coût élevé (68€).

Le titre du livre, dont le double sens faisant référence au béton (concrete) est difficilement traduisible, renvoie à l’alliance nouée entre élus communistes et architectes dans l’après-guerre. Pour les édiles communistes, l’architecture est un moyen de projeter spatialement et matériellement leur projet social et politique. Elle participe à provoquer la transformation historique menant jusqu’à la Révolution et à la victoire finale du communisme. Les élus communistes administrent des commandes publiques au niveau national, au sein du ministère de la Reconstruction dans l’immédiate après-guerre, mais surtout au niveau municipal dans les banlieues rouges. De leur côté, plusieurs des architectes sympathisants du PCF sont issus de la cellule rebelle du PCF aux Beaux-Arts et d’organisations étudiantes communistes. Ils et elle — Renée Gailhoustet étant la seule femme du groupe étudié dans le livre — partent du modernisme architectural pour produire un environnement bâti qui soit favorable à l’épanouissement de la classe ouvrière. Élus communistes et architectes militants se rejoignent dans la conviction que les constructions matérielles, particulièrement celles qui emploient du béton (concrete en anglais), peuvent véhiculer des valeurs socialistes et provoquer des comportements communistes. Cette idée se retrouve dans le titre d’un livre écrit par un des architectes et théoriciens phares de cette alliance, Anatole Kopp : « Changer la vie, changer la ville ».

Le bilan de l’alliance concrète entre architecture moderniste et communisme dans la France de l’après-guerre est mitigé. À travers plusieurs projets de logement social ou d’espaces publics, les architectes proches du PCF, gravitant autour de l’Atelier d’urbanisme et d’architecture (AUA), ont tenté de proposer des formes et des matérialités architecturales en rupture avec le modèle dominant du capitalisme occidental. Le livre s’arrête sur quelques exemples de telles réalisations, comme les Tours de Bagnolet et les Étoiles de Renaudie à Ivry-sur-Seine. De son côté, le PCF a utilisé ces constructions concrètes pour s’inscrire en faux contre la société capitaliste dominante et prouver sa puissance et sa force révolutionnaire. Pourtant, l’alliance entre communisme et architecture peine à contrer le déclin séculaire du PCF à partir des années 1960. L’exemple du siège du PCF dans le 19e arrondissement de Paris, inauguré en 1971 mais réellement achevé en 1980 alors que le PCF se voit déclassé par le Parti socialiste, est éloquent sur les limites de l’architecture comme ciment des mentalités. Depuis plusieurs années, ce bâtiment iconique sert de scène pour des défilés haute couture et des campagnes publicitaires de grandes marques de luxe, bien loin des idéaux du marxisme-léninisme. En rétrospective, il n’est pas si simple de distinguer aujourd’hui un grand ensemble bâti par un architecte d’inspiration communiste à un autre dessiné par un architecte plus conventionnel. Les deux puisent dans le modernisme architectural et reposent sur une mobilisation massive de béton qui, comme tous les matériaux, n’est intrinsèquement ni progressiste, ni réactionnaire. Malgré plusieurs tentatives, les architectes proches du PCF n’ont en définitive pas réussi à dissocier le modernisme architectural de l’échec annoncé des grands ensembles qui s’installent à partir des années 1970.

A Concrete Alliance n’est pas particulièrement facile à lire. Structuré en cinq longs chapitres, ce livre ne suit pas de structure chronologique claire et passe souvent d’un sujet à un autre sans lien évident. Il propose une histoire intellectuelle dense et abstraite, truffée de références à des personnages oubliés et à des débats abscons. Malgré une annonce en ce sens dans son titre, le quatrième chapitre ne parle finalement que très peu d’usines, alors que ces espaces industriels sont fondamentaux au communisme municipal et auraient mérité plus d’attention comme objets architecturaux. Malgré tout, ce livre est une contribution importante à l’histoire intellectuelle et politique de l’architecture. Il intéressera les personnes ayant un intérêt vif et une connaissance préalable approfondie du communisme français et de l’architecture moderniste.


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Cédric Feriel (25 août 2025). Compte-rendu par Clarence Hatton-Proulx : V. Grossman, “A concrete alliance. Communism and Modern Architecture in Postwar France” Histoire Urbaine. Consulté le 14 novembre 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/14hxq


Cédric Feriel

Maître de Conférences en histoire contemporaine Université Rennes 2 / EA 7468 Tempora Groupe de recherche Inventer le Grand Paris

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